Khalid Chraibi
Economia – Avril 2007
Chronique Entreprise
A l’ère de la mondialisation, la qualité des produits et services constitue une condition essentielle de succès sur le marché, compte tenu de l’intensification de la concurrence sur le plan mondial. Mais, au Maroc, la qualité fait, depuis longtemps, figure de parent pauvre dans les préoccupations de nombreux opérateurs économiques.
Les Marocains observent, depuis la fin des années 60, une détérioration graduelle, mais indiscutable, de la qualité de nombreux produits agricoles, industriels ou de l’artisanat. Ainsi, des fruits et légumes difformes et sans goût sont proposés aux ménagères qui font leur marché, sans commune mesure avec la qualité des produits d’il y a une trentaine d’années. Des produits d’artisanat d’une grande médiocrité sont proposés aux touristes. Même les produits de grande consommation et les produits industriels ne font pas exception à cette tendance.
Le déclin de la qualité des produits marocains s’explique, en partie, par des considérations historiques. Avec le retour en France des « colons » à partir des années 60 et la « marocanisation » de nombreuses activités à partir des années 70, les activités de production sont passées sous le contrôle d’hommes d’affaires marocains qui avaient fait leur fortune dans le commerce, l’immobilier, les professions libérales ou les services. Ils n’avaient, en général, ni les connaissances techniques, ni l’expérience spécifique requise pour gérer les entreprises qu’ils reprenaient.
Profitant de situations de rente sur des segments de marché captifs, efficacement « protégés » par les barrières douanières, ils ont cherché à maximiser leur profit, et usé habilement de l’effet de levier pour prendre progressivement le contrôle d’autres entreprises. Mais, l’amélioration de la qualité de production, le développement de nouveaux produits, ou l’exploration de marchés étrangers ne faisaient pas partie, en général, de leurs préoccupations prioritaires. Ils s’étaient contentés de faire un « placement », qu’ils seraient prêts à céder à un bon prix, quand l’occasion s’en présenterait.
Ayant le plus souvent développé leur savoir-faire et aiguisé leurs talents en travaillant sur le tas, tout au long d’une longue carrière, ces repreneurs n’ont pas ressenti le besoin de s’entourer de spécialistes dans leurs nouveaux domaines d’activités. Ils ont préféré nommer aux postes-clés de ces entreprises des hommes de confiance, ou des membres de leur famille.
Cette approche est parfaitement illustrée, dans le secteur agricole, par le peu d’intérêt que les grands propriétaires terriens manifestent pour le recrutement d’ingénieurs agronomes. Ils ne mesurent que le coût « élevé » de ces derniers, et non la contribution positive qu’ils pourraient faire au développement des activités de leur propriété agricole. Ils préfèrent donc se contenter de petit personnel d’encadrement, formé sur le tas, pour gérer les opérations.
L’ouverture des frontières marocaines aux opérateurs et aux produits étrangers bouscule aujourd’hui toutes les données de cette situation. Pour survivre dans ce nouvel environnement, les opérateurs économiques marocains devront impérativement faire preuve de grandes facultés d’adaptation, en relevant, en premier lieu, le défi de la qualité. Mais, le peuvent-ils ?
Un premier élément de réponse est fourni par le secteur de la sous-traitance qui, depuis des décennies, produit des articles de qualité, répondant à des cahiers de charges précis et rigoureux, à la satisfaction des clients étrangers les plus divers. Les Marocains peuvent donc faire une production de qualité, quand les circonstances l’exigent. Mais, peuvent-ils faire cela au niveau de l’ensemble des activités ?
L’expérience du Japon en matière d’amélioration de la qualité de production à l’échelle nationale fournit des indications intéressantes à cet égard. A la fin des années 40, le Japon était un pays complètement dévasté par la guerre, qui cherchait par tous les moyens à se reconstruire. L’économie japonaise, basée depuis toujours sur les activités d’exportation, avait du mal à se relever des décombres, et les produits japonais étaient devenus synonymes de médiocrité. Pourtant, en une dizaine d’années, la situation fut radicalement transformée grâce à William E. Deming, un statisticien américain en mission auprès des forces américaines au Japon, qui avait développé une méthodologie originale de contrôle de qualité de production, basée sur l’utilisation des méthodes statistiques.
S’adressant aux Présidents des plus grandes entreprises japonaises en 1951, Deming leur déclara : "Aujourd'hui, les produits que vous fabriquez sont considérés comme de la camelote. Mais, si vous m’écoutez, et si vous faites ce que je vous dis, dans cinq ans on opposera des barrières douanières à vos produits, et le niveau de vie au Japon finira par égaler celui des pays les plus prospères".
En appliquant les techniques de contrôle de qualité prônées par Deming, l’industrie japonaise connut une transformation considérable en quelques années. Dès les années 60, elle figurait parmi les industries les plus développées, en termes de savoir-faire. Le label « Made in Japan » devint synonyme de qualité sur le plan mondial. Il l’est toujours.