vendredi, août 31, 2007

Première partie : articles d’Economia


Date transmission : vendredi 6 janvier 2006

Economia n° 1 – Février 2006

Chronique Entreprise

M. Jettou s’attaque au chômage

(version 7000 c – datée 6 Janvier 06)

Khalid Chraibi

En 50 ans, les gouvernements successifs se sont attaqués au problème du chômage en multipliant les mesures institutionnelles et les remèdes conjoncturels. Malgré cela, il y a aujourd’hui près d’un million et demi de chômeurs au Maroc, et près d’une personne sur cinq de la population active en milieu urbain est sans emploi.

Avec le temps, le chômage a changé de nature. Maintenant, il touche toutes les classes sociales, des plus démunis aux mieux éduqués. Les jeunes diplômés qui effectuent leurs études à l’étranger sont tentés d’y rester à la recherche d’un premier emploi, faute de débouchés visibles au Maroc.

L’« Initiatives Emploi » lancée par le Premier Ministre le 22 septembre dernier à Skhirat vise l’emploi de quelques 200 000 diplômés chômeurs en trois ans. Tout comme le Plan français de lutte contre le chômage élaboré par le gouvernement Villepin, il propose des mesures au niveau des entreprises et de l’auto-emploi. Mais celles-ci, bien qu’attrayantes à première vue, sont entourées de contraintes qui en réduisent sérieusement la portée.

Ainsi, le PM offre-t-il de bonnes incitations fiscales et sociales aux entreprises recrutant des diplômés chômeurs dans le cadre d’un « contrat de premier emploi » à durée déterminée de 24 mois. Mais, les entreprises peuvent être tentées de solder chaque contrat échu, remplaçant les anciennes recrues par de nouveaux jeunes diplômés, afin de continuer à bénéficier des avantages fiscaux et sociaux associés à l’opération.

L’obligation d’être inscrit pendant 12 mois à l’ANAPEC avant de pouvoir bénéficier des dispositions du « contrat de 1er emploi » réduit également le nombre de chômeurs auxquels ces dispositions profiteront dans l’immédiat. Enfin, on peut se demander où l’ANAPEC, déjà en difficulté, trouvera les fonds nécessaires pour rémunérer les cabinets de placement qui seront associés à l’opération.

Au niveau de l’auto-emploi, le PM encourage les diplômés chômeurs dotés de plus d’esprit d’initiative et de créativité à créer leur propre très petite entreprise (TPE). Avances en fonds propres (10% du projet d'investissement jusqu’à concurrence de 15 000 dhs), et prêts bancaires jusqu’à hauteur de 90% de l'investissement, plafonnés à 250 000 dhs/projet, avec garantie de l’Etat, rendent l’opération plausible.

Indéniablement, certains jeunes diplômés talentueux sauront profiter de l’aubaine. Mais l’opération se prêtera également à beaucoup d’abus, d’improvisation et d’accidents de parcours, transformant en dépenses « à fonds perdus » une partie du fonds global de 2 milliards dhs alloué à ces actions. Les contrôles rigoureux qui seront appliqués au lancement et à la gestion de chaque projet de TPE réduiront les dégâts, mais freineront aussi l’éclosion des TPE. Pourra-t-on vraiment atteindre l’objectif officiel de 30 000 TPE employant chacune 3 personnes (soit un total de 90 000 emplois) créées en 3 ans ?

En ce qui concerne la grande masse des chômeurs (plus des 4/5èmes de l’ensemble) , le Premier Ministre compte essentiellement sur les « grands chantiers » en cours de réalisation pour assurer la relance économique du pays au cours des trois prochaines années, aidant ce faisant à résorber une partie du chômage et à créer des emplois nouveaux (complexe portuaire et commercial de Tanger Méditerranée, mise en valeur de la vallée du Bouregreg, autoroutes, rocade méditerranéenne...).

La « politique des grands travaux » a souvent permis de relancer la croissance économique et l’emploi dans les pays développés qui traversaient une mauvaise passe conjoncturelle. La raison en est que le taux de valeur ajoutée dans la production nationale y est très élevé, et les effets d’entraînement très forts. Un coup de pouce peut fort bien faire redémarrer la machine économique grippée, grâce aux effets multiplicateurs qu’il engendre. Mais, le raisonnement ne s’applique guère (ou bien peu) à la situation d’un pays du Tiers Monde.

Par exemple, s’agissant des « grands chantiers » auxquels le Premier Ministre fait référence, ce sont des sociétés étrangères qui remportent l’essentiel des appels d’offres internationaux associés à leur réalisation. Les sociétés adjudicatrices importent de leur propre pays une proportion écrasante des produits, des services et de l’encadrement requis pour la réalisation du projet.

Les fortes retombées bénéfiques des grands chantiers ont donc bien lieu, mais… sur les économies des pays étrangers qui obtiennent les marchés ! De grandes entreprises s’y épanouissent, et génèrent chiffres d’affaires impressionnants, profits élevés et emplois nouveaux, aussi bien directs qu’induits…

Mais les retombées des grands chantiers sur l’économie marocaine sont bien modestes, en comparaison de cela, à cause du peu d’argent qui y est réellement dépensé dans le cadre de ces « grands chantiers », de la faiblesse du taux de valeur ajoutée dans la production nationale et de la dilution rapide des effets d’entraînement (ou effets multiplicateurs).

Ainsi, les emplois créés pendant la période de réalisation du projet peuvent être importants (surtout au niveau de la main d’œuvre temporaire), mais ils se situent à des niveaux marginaux en ce qui concerne les emplois durables. Quant au transfert de technologie et de know-how associés à ces grands projets, ils restent généralement bien en-deçà des niveaux escomptés.

Ajoutez à cela qu’une partie importante des fonds utilisés pour réaliser ces grands projets provient de sources de financement étrangères (multilatérales, bilatérales ou crédits commerciaux). Le service de la dette du projet (intérêts et échéances du principal) détourne encore une fois vers des opérateurs étrangers, chaque année, une partie importante des fonds dégagés par la mise en œuvre du projet, réduisant d’autant sa contribution à long terme au développement économique du pays.

Cela explique que l’on puisse être sceptique au sujet des résultats « escomptés » des mesures annoncées à Skhirat. On peut regretter, à cet égard, que le PM n’ait pas jugé utile de présenter une évaluation des résultats obtenus par les anciens programmes de lutte contre le chômage des diplômés chômeurs (soutien financier aux jeunes promoteurs dans les années 1980, actions de formation-insertion associées au CNJA dans les années 1990...). On se souvient que le premier a été comparé à un gouffre financier, dont les résultats n’ont guère été probants, alors que l’opération « formation-insertion », hautement médiatisée à l’époque, n’a contribué à employer que quelques 35 000 personnes en 10 ans, autant dire une goutte d’eau dans l’océan du chômage. La publication d’un rapport annuel sur la mise en œuvre du Plan de Skhirat sera, de ce point de vue, d’un intérêt certain.

Le chômage, assurément, n’est qu’une manifestation de l’état de santé précaire de l’économie marocaine en général, et de celui des entreprises en particulier. D’évidence, c’est à ces deux niveaux que les vrais problèmes se posent, et qu’ils doivent être étudiés et résolus. La « mise à niveau » de l’économie dans son ensemble, et de l’entreprise en particulier, constituent des passages obligés si l’on veut les doter de structures compétitives dans le cadre de la mondialisation des activités économiques. Ce n’est qu’à ces conditions que les opérateurs économiques, ayant retrouvé des assises plus solides, pourront procéder aux recrutements dont ils ont vraiment besoin, et dont le niveau sera d’autant plus important que les perspectives de développement seront meilleures.


Pour Economia N° 1

Transmis 24 janvier 2006

La « mise à niveau » des entreprises est mal partie

Par Khalid Chraibi

Depuis l’adhésion du Maroc à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1994, l’économie marocaine s’est résolument ouverte sur le monde extérieur. L’accord d’association avec l’Union Européenne signé en 1996 fut rapidement suivi d’un accord de libre-échange avec l’Association européenne de libre échange en 1997 ; puis d’accords similaires avec la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie (« accord d’Agadir ») en février 2004 ; et avec les Etats-Unis en mars 2004.

Ces accords, dictés par la nécessité pour le Maroc de s’intégrer aux nouvelles donnes de l’économie mondiale, ouvrent de nouveaux débouchés aux produits marocains capables de se faire leur place sur les marchés étrangers. Ils constituent également pour l’entrepreneur marocain un formidable défi à relever, car il doit désormais faire face à la concurrence internationale sur le marché interne.

Opérant pendant des décennies sur un marché « captif » efficacement « protégé » par les barrières douanières, dans lequel il pouvait développer une « situation de rente », l’entrepreneur marocain a souvent été tenté par la solution de facilité de chercher à maximiser son profit, sans souci d’améliorer la qualité de ses produits ou d’en réduire les coûts de production.

Ni les opérateurs dominants ni les PME n’ont vu la nécessité de développer des structures compétitives ou des compétences techniques très fortes, que ce soit au niveau de leur organisation, de leur encadrement, ou de leur gestion des ressources financières, techniques ou humaines. Même ceux qui faisaient le plus illusion face à leurs concurrents nationaux pouvaient se révéler d’une grande vulnérabilité, une fois confrontés à une concurrence étrangère déterminée.

A l’ère de l’ouverture des frontières, il était donc impératif d’aider l’entreprise marocaine à s’adapter pour survivre dans cet environnement nouveau. Dès les lendemains de l’accord avec l’Union Européenne, un programme de « mise à niveau » de l’entreprise marocaine fut développé à cet effet.

Le concept de « mise à niveau » avait été développé à la fin des années 1980, pour aider le Portugal à s’intégrer à l’Europe. Le savoir-faire ainsi acquis fut étendu à l’occasion à d’autres pays se trouvant dans des situations similaires (Jordanie, Egypte, Syrie, Tunisie, Maroc, Sénégal…). Au Maroc, il devait développer la capacité de performance de l’économie marocaine dans son ensemble, afin qu’elle puisse résister à la concurrence des pays de l’Union Européenne et des pays du Sud de la Méditerranée.

Des actions devaient être menées dans des domaines aussi diversifiés que le renforcement des infrastructures ; l’amélioration de la formation professionnelle ; la promotion des exportations ; le renforcement des associations professionnelles ; le développement de l’infrastructure technologique ; la réalisation de diagnostics d’entreprises ; le financement de la mise à niveau…

Les entreprises marocaines devaient passer d’un style de gestion souvent « patriarcal » à des méthodes de gestion modernes. Des alliances entre entreprises dans les mêmes domaines d’activité devaient déboucher sur la constitution de « grappes industrielles », qui les porteraient à la taille requise pour améliorer leur productivité, réduire leurs coûts, mieux utiliser leur capital financier et leurs ressources humaines.

Une entité spécialisée dénommée « Euro-Maroc Entreprise » fut créée pour gérer toutes ces activités sur le terrain. Elle devait réaliser des activités de pré-diagnostics, organiser le financement et la réalisation de diagnostics approfondis et de plans d’affaires, mettre en relation les entreprises marocaines avec des partenaires étrangers…

A cause de la complexité des mesures institutionnelles requises et de l’éparpillement des efforts, le programme de mise à niveau eut beaucoup de mal à démarrer. Un bilan de l’opération dresse le tableau suivant, à l’issue de plusieurs années d’opération :

« Sur un total de 250 entreprises ayant déposé un dossier de demande à Euro-Maroc Entreprise depuis sa création, 150 ont été retenues et 100 pré-diagnostics ont été réalisés. Sur les 50 demandes déposées pour le passage à la deuxième phase, 20 ont pu être retenues jusqu’à présent. Un plan d’affaires a été réalisé pour une seule entreprise ».

Tirant la leçon de quelques cinq années de « démarrage » du programme, les différents partenaires procédèrent à sa refonte en 2002, l’axant entre autres mesures sur « l’amélioration de l’offre marocaine sur les marchés extérieurs par l’exploitation de gisements de productivité et de niches ; la diversification et l’intensification des exportations grâce à une politique de promotion de la qualité des produits ; l’adaptation de la formation professionnelle aux besoins de l’économie ; une amélioration du cadre institutionnel, des infrastructures et de l’organisation de l’administration… »

Dans ce but, le nouveau programme de mise à niveau s’est axé sur « le renforcement de la structure d’accueil et l’infrastructure technologique ; l’appui aux associations professionnelles ; le développement de la formation professionnelle ; et l’assistance technique aux entreprises. »

Une Agence nationale pour la promotion de la PME (ANPME) fut créée, devant jouer un rôle de premier plan dans la mise en œuvre du programme révisé de mise à niveau.

Qu’en est-il de la réalisation de ce programme révisé ? Il semble qu’il progresse mieux que son précecesseur, et que le nombre d’entreprises bénéficiaires des prestations du programme aient notablement augmenté. Cependant, compte tenu de la complexité du système, de l’ampleur des objectifs à atteindre et du retard accumulé (toutes ces « années perdues », pourrait-on dire), elles ne dépasseront guère quelques 5 % des entreprises industrielles de plus de 10 salariés recensées.

Contrairement à ce qui avait été escompté lors de son lancement, au lendemain de la conclusion de l’accord d’association avec l’Union Européenne, le programme de mise à niveau, dans toutes ses versions, n’aura donc d’impact que sur une fraction infime du tissu industriel marocain. Il ne jouera qu’un rôle marginal dans la préparation de l’économie marocaine à faire face à la concurrence internationale, à l’échéance de 2010. Pour résumer tous ces efforts, le titre d’une pièce de Shakespeare vient à l’esprit : « Beaucoup de bruit pour rien. »


Transmis 14 février 2006

Economia n° 2 Mars 2006

Culture 8000 c

1er muharram : Calendrier lunaire ou islamique ?

Khalid Chraibi

Depuis que l’usage du calendrier grégorien s’est généralisé dans les pays musulmans, après leur occupation par des puissances étrangères aux 19è et 20è siècles, le calendrier islamique s’est progressivement trouvé relégué à des fonctions de protocole et de représentation, qu’il assume essentiellement à l’occasion du 1er muharram, du 1er ramadan, de l’aïd el fitr ou de l’aid al adha. Nul ne songerait, de nos jours, à dater un contrat, à faire des réservations de billets d’avion ou de chambres d’hôtel, ou à programmer une conférence internationale sur la base des données de ce calendrier.

En effet, ses dates sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans et il ne permet pas, à l’intérieur du même pays, de planifier d’activités au-delà du mois en cours.

A titre d’illustration, le 1er shawal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr, correspondait au mercredi 2 novembre 2005 en Libye et au Nigéria ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays dont l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et une partie des Etats-Unis ; au vendredi 4 novembre dans 13 pays dont le Maroc, l’Iran, le Bangladesh, l’Afrique du Sud, le Canada, une partie de l’Inde et une partie des Etats-Unis ; et au samedi 5 novembre dans une partie de l’Inde. Cet état des choses n’est nullement exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois.

Faudrait-il conclure, à partir de cette illustration, que le calendrier lunaire doit être définitivement abandonné, dans les sociétés musulmanes, au profit du calendrier grégorien ? Nullement. En fait, comme nous le verrons, ce sont les procédures d’élaboration du calendrier islamique qui doivent être réévaluées.

Sur le plan astronomique, les données de la situation sont simples. Le mois lunaire débute au moment de la « conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le Soleil. Le mois est défini comme la durée d’une rotation de la Lune autour de la Terre (29,53 j), donnant pour l’année de 12 mois une durée de 354,37 j. Les astronomes ont posé, il y a quelques milliers d’années, la convention que des mois de 30 j et de 29 j se succédaient en alternance, ce qui permettait de faire correspondre la durée de rotation de la Lune sur deux mois successifs à un nombre de jours entiers (59), laissant à peine un petit écart qui se cumulait pour atteindre 24 h (soit l’équivalent d’un jour) en 2,73 ans. Il suffisait d’ajouter un jour tous les trois ans au calendrier lunaire pour solder cet écart, de la même manière qu’on ajoute un jour tous les quatre ans au calendrier grégorien.

Le calendrier islamique est basé sur de toutes autres conventions. Le Prophète a recommandé aux fidèles de commencer le jeûne du mois du ramadan avec l’observation de la naissance de la nouvelle lune [au soir du 29è j du mois] et d’arrêter le jeûne avec la naissance de la nouvelle lune (du mois de shawal). « Si le croissant n'est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu'à 30 j. ».

Les théologiens et les autorités temporelles en ont déduit, à tort ou à raison, que chacun des Etats islamiques devait (ou pouvait) procéder pour son propre compte à l’observation mensuelle de la nouvelle lune dans le ciel (ou à défaut attendre l’achèvement d’un 30è j) avant de décréter le début d’un nouveau mois sur son territoire, au lieu de faire démarrer le mois avec la conjonction mensuelle.

Or, le croissant lunaire ne devient vraiment visible que quelques 18 h après la conjonction, et sujet à l’existence de conditions favorables relatives à des facteurs tels que le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction ; les positions relatives du Soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ; l’altitude de la lune au coucher du soleil ; le lieu où l’on procède à l’observation ; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher ; les conditions d’observation (pollution, humidité, température de l’air, altitude) ; les conditions météorologiques (absorption et extinction des rayons lumineux en provenance de la Lune, la température au sol, les effets saisonniers) ; le contraste de brillance entre le croissant lunaire et le ciel ; la limite de détection de l’œil humain…

Selon les mois et les saisons, les conditions favorables d’observation de la nouvelle lune seront réunies en des sites différents du globe terrestre. Des astronomes et des informaticiens réputés ont établi des procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien malais, Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l'ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant.

Mais tous ces efforts, si admirables soient-ils, restent marginaux par rapport à la question centrale : « qu’est-ce qui empêche l’adoption par les sociétés islamiques du calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique, puisqu’il répond parfaitement aux besoins de leur situation ? »

Il faut rappeler, dans ce contexte, que la dynastie des Fatimides en Egypte a utilisé ce calendrier au cours d’une période de deux siècles, entre les 10è et 12è s., avant qu’il ne tombe dans l’oubli à la suite d’un changement de régime.

Ce sont des arguments d’ordre théologique, fondés essentiellement sur deux ou trois hadiths du Prophète, qui sont le plus souvent cités pour préserver le statu quo et empêcher l’utilisation du calcul astronomique. Mais, ils laissent sceptiques.

En effet, le Coran n’interdit nulle part l’usage du calcul astronomique, qui est donc licite. Un verset déclare : "C'est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière ; il en a déterminé les phases afin que vous connaissiez le nombre des années et le calcul du temps".

Le Prophète a simplement recommandé aux fidèles une procédure d’observation de la nouvelle lune qui était parfaitement courante à l’époque, et adaptée au contexte de la région, quand les étoiles servaient de points de repère aux Bédouins au cours de leurs déplacements dans le désert.

L’observation de la lune n’était qu’un moyen, pour déterminer le début du mois, et non pas une fin en soi, un acte d’adoration. Le hadith relatif à l’observation n’établissait pas une règle immuable, pas plus qu’il n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique.

A titre d’illustration, l’Arabie Saoudite a abandonné en 1999 la procédure d’observation de la nouvelle lune, pour lui substituer une nouvelle procédure basée sur le calcul des horaires de coucher du soleil et de la lune aux coordonnées de la Mecque, le soir du 29è j de chaque mois. Le coucher du soleil avant la lune indique le début du nouveau mois. Dans le cas inverse, le mois en cours aura une durée de 30 j.

De nombreux experts défendent la notion que le hadith ne parle pas d’une observation visuelle de la nouvelle lune, mais plutôt de l’acquisition de l’information, selon des sources crédibles, que le mois a débuté. Cela ouvre de toutes autres perspectives dans la discussion de cette question.

Quant au hadith du Prophète selon lequel les bédouins ne savent ni lire ni compter, et doivent donc éviter d’utiliser le calcul (astronomique), Ibn Taymiya observe que l’argument pouvait être fondé au début du 7è s. mais conteste qu’il puisse encore s’appliquer aux musulmans des siècles plus tard, après qu’ils aient été à l’avant-garde du développement de la connaissance scientifique, y compris en astronomie, pendant des siècles. Il souligne que les musulmans n’auraient pas de quoi s’enorgueillir s’ils étaient restés illettrés.

Plus généralement, on peut observer que les juristes musulmans s’enorgueillissent de la capacité de la loi islamique à s’adapter en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances aux besoins des sociétés les plus diverses. Nombre de points fondamentaux de la loi ont fait l’objet d’interprétations différentes, au fil des siècles. Pourquoi serait-il donc impossible de substituer une autre interprétation au hadith du Prophète sur la question de l’utilisation par la communauté musulmane du calendrier basé sur le calcul astronomique ?


Transmis 23 février 2006

Economia n° 2 Mars 2006

Chronique Entreprise

Intérêt public et intérêts privés (version révisée 23/02/06)

Khalid Chraibi

Le rapport « 50 ans de développement humain », présente une remarquable rétrospective des politiques appliquées et des résultats obtenus dans les principaux secteurs économiques et sociaux depuis la proclamation de l’indépendance. Ceux qui s’intéressent au secteur privé marocain trouveront matière à réflexion dans l’excellente contribution du professeur Mohamed Saïd Saâdi, retraçant l’évolution du secteur privé au cours du demi-siècle écoulé et évaluant sa modeste contribution à la croissance économique et au développement humain du pays.

De la lecture de ces rétrospectives, on retient que la panoplie de mesures édictées dans le but d’améliorer le niveau de vie économique et social de la population en général au cours de ce demi-siècle n’ont eu qu’une portée réduite par rapport aux objectifs visés, mais ont fourni à ceux qui ont su profiter de leurs dispositions l’opportunité d’édifier des fortunes privées importantes. Le secteur industriel en fournit une illustration intéressante.

Les pouvoirs publics se sont évertués à mettre en place, depuis l’indépendance, des institutions appropriées, à même de favoriser la croissance industrielle et le développement humain, et à faire émerger une classe d’entrepreneurs et de gestionnaires compétents, innovateurs et dynamiques, capables de faire tourner les rouages de la machine économique.

La politique économique se fixa des objectifs raisonnables et viables, tels que le développement des exportations agricoles et du tourisme, la substitution de productions nationales aux produits importés et l’association de capitaux nationaux et étrangers dans les principaux domaines d’activité économique.

Dans ce but, une politique de promotion du secteur privé fut mise en œuvre, basée sur un impressionnant, mais tout à fait logique, système d’incitations.

Des codes d’investissement furent adoptés, accordant des avantages sous forme de primes d’équipement, de bonification des taux d’intérêt, de couverture du risque de change, de garantie de transfert des capitaux des investisseurs étrangers…

Des mesures de protection douanière (taxation et contrôle des importations…) furent édictées pour favoriser le développement de productions nationales de biens de consommation courante, en substitution aux importations. Afin d’encourager les industries orientées vers les exportations, des régimes économiques spéciaux en douane furent mis en place, permettant l’importation en suspension de droits de douane des matières premières destinées à être utilisées dans la production de produits destinés à l’exportation.

Pour financer leurs investissements, les entrepreneurs purent bénéficier de crédits importants, octroyés à des conditions avantageuses (faible taux d’intérêt, durée de remboursement étendue) par des institutions spécialisées nouvellement créées ou remises à niveau telles que la Banque Nationale de Développement Economique (BNDE), le Crédit Immobilier et Hôtelier (CIH), la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA), etc.

D’autres institutions spécialisées, telles que l’Office de Développement Industriel (ODI) ou l’Office de Commercialisation et d’Exportation (OCE) furent mis en place, pour aider les opérateurs économiques à développer leurs activités sur des bases bien étudiées.

Afin de maintenir la compétitivité des produits marocains sur le plan international, qui était associée dans l’esprit des décideurs économiques à un faible coût de main d’œuvre, une politique de bas salaires fut appliquée, y compris le blocage du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) sur des durées prolongées.

La décision de « marocanisation » des activités économiques vint à point nommé ajouter la dernière pierre à l’édifice en 1973, en obligeant les propriétaires étrangers opérant dans de nombreux secteurs à prendre des associés marocains.

Or, à l’heure où l’on dresse le bilan du cinquantenaire, on constate que toutes les mesures indiquées, pourtant parfaitement justifiées et adaptées aux besoins de la situation de l’époque, n’ont eu qu’un effet marginal sur le développement du secteur privé industriel. La contribution de ce secteur à la valeur ajoutée nationale est restée modeste, les produits continuant d’être parfois de qualité moyenne ou médiocre et les prix beaucoup plus élevés que ceux des produits étrangers comparables. Les exportations ont continué d’être faibles et les importations plus nécessaires que jamais, alors que le taux de chômage de la population urbaine continuait de grimper.

Pourquoi le secteur industriel n’a-t-il pas fait preuve du dynamisme, de l’esprit d’innovation, des grandes réalisations escomptés, après que l’Etat lui ait fourni tous les moyens pour prendre son essor et apporter une contribution importante au développement économique et humain du pays ?

Les principales sociétés industrielles ont été vendues par leurs propriétaires étrangers, depuis l’indépendance, à des opérateurs marocains qui n’avaient ni la vocation d’entrepreneurs industriels, ni l’expérience ou le profil requis, ayant fait fortune dans des activités liées au commerce, à l’immobilier et à la propriété agricole. Ces opérateurs avaient simplement su tirer parti des avantages de la politique économique appliquée par l’Etat, usant de leur accès privilégié à l’appareil administratif, de leurs liens avec le pouvoir politique, ou encore des relations qu’ils entretenaient avec les banquiers de la place et avec les opérateurs économiques étrangers.

Les nouveaux propriétaires se sont empressés de développer des situations de rente, sur des segments de marché captifs, tout en usant habilement de l’effet de levier pour prendre progressivement le contrôle d’autres entreprises.

La concentration de pouvoir économique qui en a résulté s’est parfois traduite par l’édification de véritables conglomérats ayant des pôles diversifiés (financier, industriel, commercial), dont les dirigeants étaient des membres d’une même famille, principalement intéressés par le brassage des affaires en vue d’un gain rapide. En conséquence, ils n’accordaient qu’un intérêt de second ordre à d’autres préoccupations telles que la gestion des ressources techniques, financières ou humaines d’une entreprise déterminée, qu’ils étaient prêts à revendre à un bon prix quand l’occasion se présenterait. Le développement de nouveaux produits, l’amélioration de la qualité de production ou l’exploration de marchés étrangers ne faisaient pas partie de leurs préoccupations prioritaires, tant que les affaires « rapportaient gros » par ailleurs.

Bien sûr, toutes généralisations sont excessives. Le tissu industriel a également vu la multiplication de milliers de PME tout au long de cette période, à l’initiative, cette fois, de véritables entrepreneurs fortement motivés, prêts à innover, à prendre des risques, à sortir des sentiers battus pour développer des activités pointues et pour se faire une place dans un créneau qu’ils étaient parfois les seuls à avoir identifié. On connaît tous des « success stories » marocaines, des « self made man » à l’américaine, mais ces entreprises restent pour l’essentiel vulnérables et fragiles, des affaires de famille au vrai sens du terme, et leur contribution à l’activité du secteur industriel reste mineure.


Transmis le 20 mars 2006

Economia n° 3 avril 2006

Chronique Entreprise :

La politique des « champions nationaux »

Khalid Chraibi

Une course soutenue à la concentration se déroule au Maroc depuis de nombreuses années. Elle restructure le paysage industriel, commercial et financier du pays dans des secteurs aussi variés que celui des holdings (rapprochement SNI/ONA) ; des banques (fusion BCM/Wafabank ; regroupement CDG/BNDE/CIH ; absorption de SMDC par BP) ; des assurances (fusion RMA/Wataniya ; et auparavant, fusions en cascade d’Al Amane - L’Entente – la Compagnie Africaine d’Assurances - AXA Assurances Maroc) ; des produits et services pétroliers (fusion Samir/SCP ; rachat par AKWA de participations importantes de Oismine dans le même domaine d’activités) ; du secteur sucrier (privatisation par Cosumar des quatre sucreries SURAC, SUNABEL, SUTA et SUCRAFOR, qui s’ajoutent à ses unités de production de Casablanca, Zemamra et Sidi Bennour) ; et du secteur des huiles de table (fusion Lesieur Afrique/Unigral Cristal ; rachat de SEPO, d’Oléor… par le même Groupe).

Certains de ces regroupements s’inscrivent dans le cadre de la politique de « privatisation » des participations détenues par l’Etat, des introductions en Bourse, ou de l’évolution normale des affaires. D’autres, tels que les fusions BCM/Wafabank ou RMA/Wataniya, se justifient, selon leurs promoteurs, par la nécessité économique de créer des « champions nationaux » capables de servir de véritables locomotives de développement dans leur secteur d’activité, et de faire face à la concurrence étrangère, lorsqu’elle se manifestera en force à partir de l’échéance 2010, à l’occasion de l’ouverture totale des frontières aux opérateurs et produits étrangers.

L’argument se défend, quand on songe que de nombreuses entreprises internationales ayant des chiffres d’affaires se comptant en dizaines de milliards de dollars (banques, compagnies aériennes, laboratoires pharmaceutiques, industries diverses…) cherchent elles-mêmes, aujourd’hui, à fusionner avec certains de leurs concurrents, pour mieux se positionner sur la scène mondiale.

Nos grandes entreprises nationales ne sont que des PME, quand elles sont mesurées à l’aune des standards européens ou américains. La consolidation de petites entreprises, en vue de créer de nouveaux ensembles desservant des parts de marché de 15 à 20 % chacun, permettrait de les doter de meilleurs atouts pour survivre, face aux menaces de la mondialisation. Leur « mise à niveau » de manière organisée, en vue d’optimiser l’utilisation de leurs ressources matérielles, humaines, techniques, financières et managériales et de leur know-how individuel, devrait logiquement se traduire par un gain pour leurs actionnaires aussi bien que pour le consommateur, tout en assurant leur pérennité.

Ceci dit, l’atteinte de la taille critique ne doit pas être parée de toutes les vertus. Elle ne constitue nullement un remède-miracle. Un nombre restreint d’opérateurs marocains ont prédominé dans différents secteurs économiques au cours du dernier quart de siècle, sans que cela se traduise nécessairement par une prestation de service de haut niveau de leur part. Ils se sont parfois contentés de rendre des prestations de qualité moyenne, tout en développant, quand ils le pouvaient, des situations de rente dans un marché captif, en engrangeant des bénéfices qui les satisfaisaient.

Ce n’est donc pas uniquement au niveau de la taille qu’il faut rechercher les faiblesses des entreprises, mais également à celui des compétences managériales de leurs dirigeants et du savoir-faire qu’ils peuvent mobiliser dans leur gestion. Leur capacité à se mettre à l’écoute du client, leur volonté de le servir, au lieu de l’exploiter, sont des indicateurs primordiaux. Les restructurations opérées à l’occasion des fusions doivent ainsi se préoccuper autant des questions de qualité du management que de qualité de production.

En tout état de cause, il ne s’agit pas, sous prétexte de consolider les assises des « champions nationaux», de mettre les destinées d’un secteur d’activités entre les mains d’un nombre restreint d’opérateurs (un « cartel » dans la terminologie économique), si distingués soient-ils, ni de leur sacrifier le maintien d’une saine concurrence sur le marché, entre entreprises de taille comparable. Comme l’expérience marocaine vécue le prouve, ce n’est qu’à ce prix que les entreprises resteront en éveil, à l’écoute des besoins du consommateur, constamment à la recherche d’innovations et de produits nouveaux, d’améliorations de qualité ou de réductions de coûts de revient, pour fidéliser leur clientèle et améliorer leur taux de pénétration du marché.

L’analyse prend une toute autre dimension lorsque le regroupement concerne deux entreprises de taille moyenne, dont chacune dessert déjà une part importante du marché national, aboutissant à créer une « entreprise dominante » capable de desservir 60-70 % environ de ce marché,

Au niveau de la politique économique nationale, le devenir du secteur devient étroitement dépendant des décisions d’une entreprise dominante. Selon les priorités qu’elle se fixe dans son plan d’opérations, les investissements auxquels elle procède, la politique d’approvisionnements qu’elle applique, les partenariats qu’elle noue avec des opérateurs nationaux et étrangers, les emprunts qu’elle contracte, etc., elle devient un centre de décision économique principal du pays.

Elle se trouve alors confrontée à un arbitrage continu, et parfois difficile, entre ses propres intérêts, en tant qu’opérateur privé, et les intérêts du secteur tout entier. Peut-elle, par exemple, maintenir une situation de saine « concurrence » avec la multiplicité de PME dont chacune dessert des parts de marché de 5 ou 10 %, sans succomber à la tentation de les « brider » dans leurs activités pour servir ses propres intérêts ?

Or, la politique des « champions nationaux » ne doit pas se faire au détriment des PME. Comme l’histoire des grandes réussites industrielles et commerciales le démontre abondamment, il n’est pas nécessaire d’être riche pour entreprendre : il suffit de bonnes idées et d’une ferme volonté d’entreprendre et de réussir dans les affaires, comme en témoignent nombre d’entreprises venues au monde dans un garage avant de partir à la conquête du monde (Ford, Hewlett Packard, Motorola, Microsoft…).

Toutes les précautions doivent donc être prises pour assurer la pérennité des PME, qui sont les chevilles ouvrières du développement d’une économie performante et de création d’emplois, en même temps qu’elles favorisent l’apparition d’une classe moyenne significative, tous trois facteurs importants de stabilité sociale du pays.

Pour toutes ces raisons, les pays industrialisés (Etats-Unis, Union Européenne…) ont mis en place des législations très sophistiquées, non seulement pour empêcher le développement de monopoles ou de cartels, mais également pour empêcher les entreprises géantes d’abuser de leur position dominante sur un marché, et pour veiller au maintien d’une saine concurrence entre tous les opérateurs économiques de manière plus générale. Au Maroc également, il serait de la plus haute importance d’accompagner la mise en œuvre d’une politique des « champions nationaux » de règles similaires, adaptées au contexte de notre pays, pour assurer le respect des règles de bonne gouvernance dans la sphère économique.


Transmis le 30/03/06

Economia n° 3 Avril 2006

Entreprise du mois

Le Groupe COSUMAR, locomotive de la filière sucrière

Opportunités, menaces et défis

Khalid Chraibi

Le Groupe Cosumar est devenu l’opérateur incontournable dans le secteur du sucre au Maroc, depuis sa reprise des 4 sucreries nationales privatisées par l’Etat en été 2005. Il doit maintenant jouer le rôle de locomotive de toute la filière sucrière, que ce soit au niveau du développement de l’amont agricole qui fait vivre 80 000 familles ; de la restructuration et de la mise à niveau des 14 usines qui produisent près de la moitié du sucre consommé au Maroc ; ou des énormes défis que le secteur doit relever dans le cadre de la politique de libéralisation.

Volet n° 1 : Le Groupe Cosumar aujourd’hui

Peu de Marocains savent aujourd’hui que le pain de sucre fut produit au Maroc dès le 12ème siècle, à partir de la canne à sucre cultivée dans les régions de Souss et de Chichaoua. Pendant tout le Moyen Age, le sucre resta une denrée rare et précieuse que l’on ne consommait que dans les demeures des gens les plus aisés. Son commerce engendrait de grandes richesses, comme le rappellent les guides des tombeaux saâdiens de Marrakech, qui expliquent que le roi Ahmed El Mansour Ed-Dahbi troquait le sucre « poids pour poids, contre les matériaux les plus riches : or, onyx, marbre d’Italie » quand il édifiait le Palais EI Badi.

Ce n’est cependant qu’à partir de 1929 que le pain de sucre apparaît de manière permanente sur la scène marocaine, lorsque la société sucrière Saint Louis, de Marseille, s’implanta à Casablanca sous le sigle de COSUMA, pour produire, à partir de sucre brut importé, le fameux pain de sucre « La Panthère », compagnon indissociable, depuis lors, de toutes les cérémonies de thé au Maroc.

La société connut un développement exceptionnel au cours de sa longue existence, passant d’une production de sucre raffiné de 100 t/j à ses débuts à un niveau de 2 100 t/j aujourd’hui, dans son usine de Casablanca. En 1967, la société fut « marocanisée », cédant une part de 50 % de son capital à l’Etat, et son sigle connut une légère extension pour devenir COSUMAR.

Dans les années 1970, elle accompagna la politique nationale de développement des cultures sucrières en créant deux sucreries dans le périmètre agricole de Doukkala-Abda, l’une à Sidi Bennour et l’autre à Khemis Zemamra. Ces deux unités enregistrèrent une forte croissance de leurs activités, avant d’être fusionnées avec Cosumar en 1993.

La société entra dans le giron de l’ONA en 1985, consolidant ses assises dans l’économie marocaine en s’adossant au groupe économique numéro un du pays. Ses principaux actionnaires aujourd’hui comprennent l’ONA (56 %), la CIMR (13 %), la SNI (10 %) et diverses sociétés d’assurances et de banque. Ses actions furent cotées à la Bourse des valeurs de Casablanca à partir de 1985.

COSUMAR a constamment œuvré pour l’amélioration de sa compétitivité, la modernisation de son outil industriel, la formation de son personnel et l’application d’une démarche « qualité » et « sécurité » rigoureuses dans ses activités.

En 2004, elle célébra ses 75 ans d’existence, et pouvait s’enorgueillir d’être en excellente forme. Elle était toujours le numéro 1 du secteur sucrier. Ses ventes s’élevaient à 720 m t, correspondant à plus de 68 % du marché national. Elles se répartissaient entre le sucre granulé (46 % du marché), le pain de sucre (88 %) et le sucre en morceaux et lingots (95 %).

La société avait des assises financières solides, ses fonds propres avoisinant 1.5 milliards dh, son chiffre d’affaires 3.2 milliards dh, et son résultat net 250 mdh. Elle employait près de 1 900 personnes.

Sa raffinerie était implantée à Casablanca, et ses usines de transformation de betterave sucrière à Sidi Bennour et Zemamra, avec une capacité de traitement de 14 000 tb/j.

Les 4/5è de sa production de sucre raffiné étaient réalisés à partir de sucre brut importé, et 1/5è était obtenu à partir du sucre brut ayant son origine dans l’amont agricole marocain.

Malgré cette réussite exceptionnelle, Cosumar continue de se préoccuper constamment de la compétitivité de ses produits, ce qui se traduit par un souci permanent de développer son outil industriel et de l’adapter aux nouvelles donnes de situations changeantes. Ainsi, compte tenu de l’essor considérable que connaît l’activité betteravière dans la région Abda-Doukkala, Cosumar a lancé début 2004 un grand projet d’extension des sucreries de Sidi Bennour, pour un investissement de 800 mdh.

Dans une première phase correspondant à la campagne 2004-2005, la capacité devait passer de 6000 à 10 000 tb/j, et dans une deuxième phase, en 2006, elle devait être portée à 15 000 tb/j, avec notamment le transfert et l’installation des équipements de la sucrerie de Zemamra à la sucrerie de Sidi Bennour. Le traitement de la betterave serait ainsi concentré sur Sidi Bennour alors que l’activité de conditionnement des produits finis serait maintenue sur les deux sites, ce qui devrait optimiser l’exploitation au niveau des deux sites. Le projet a été concrétisé dans de très bonnes conditions.

Cosumar a également lancé en 2004 un projet de construction de plate-forme de stockage de 12 000 m², et d’une capacité de 20 000 t, sur le site de la raffinerie de Casablanca, afin de rationaliser la gestion des stocks et d’améliorer le service aux clients. Cette opération se justifie du fait que quelques 600 000 t de sucre transitent par l’espace de livraison casablancais, correspondant à 55 % de la consommation nationale de sucre.

De même, Cosumar a participé à l’opération de privatisation des 4 sucreries SUTA, SURAC, SUNABEL et SUCRAFOR, dont elle a acquis en été 2005 les participations détenues par l’Etat pour un montant de 1367 mdh. Elle se retrouve ainsi l’unique opérateur sucrier au Maroc, désormais, avec les capacités de traitement suivantes installées dans chaque région :

Casablanca , pour le raffinage du sucre brut importé (production de 2100 t/j de pain de sucre raffiné) et le conditionnement des produits finis.

Région des Doukkala (Sidi Bennour et Zemamra), avec une capacité de transformation de 14 000TB/J.

Région du Tadla (Suta), avec une capacité de transformation de 14 400 tonnes betterave/Jour.

Région du Gharb-Loukkos (Sunabel), avec une capacité de transformation 15 000 tonnes betterave/Jour.

Région du Gharb-Loukkos (Surac), avec une capacité de transformation de 9 500 tonnes canne/Jour.

Région de Moulouya (Sucrafor), avec une capacité de transformation de 3 000 tonnes betterave/Jour.

Il faut noter que les cultures sucrières, s’étendant sur une superficie de 90 000 ha, font vivre plus de 80 000 familles d’agriculteurs au niveau de l’amont agricole, soulignant l’ampleur de la tâche à laquelle Cosumar sera confrontée. Cependant, la société a déjà accumulé une bonne expérience en la matière, dans le cadre de la gestion de ses activités dans les sucreries de Doukkala.

A ce stade, Cosumar projette d’investir 1.6 milliard dh dans la restructuration et le développement de la filière sucrière sur les six prochaines années. Elle espère élargir les superficies cultivées de 25 % et augmenter le revenu des agriculteurs de 40 % sur la prochaine décennie. Elle compte aussi poursuivre la mise à niveau de la filière sucrière en favorisant les synergies entre les différents sites de production et l’amont agricole.

Rappelons que la privatisation des 4 sucreries s’est réalisée sans que le processus de libéralisation initié en 1996 ait progressé. La libéralisation des prix à la consommation des matières premières et des produits finis n’est toujours pas appliquée.


Volet n° 2 : Groupe Cosumar : Opportunités, menaces et défis

Rencontre avec M. Mohammed Fikrat, PDG de Cosumar

Khalid Chraibi

Malgré un calendrier extrêmement chargé, coincidant avec la présentation des résultats de Cosumar pour l’année 2005, M. Mohammed Fikrat, PDG de Cosumar, a très aimablement accepté de rencontrer MM. Abdelmajid Ibenrissoul et Khalid Chraibi, respectivement rédacteur en chef et chroniqueur d’Economia. Ci-dessous, la synthèse de leur entretien :

A la question : « Y a-t-il une situation de monopole de fait ? », Mr Fikrat observe que, bien que Cosumar soit devenue l’unique opérateur au niveau du secteur sucrier, il serait abusif d’assimiler cela à une situation classique de monopole. Ce sont clairement les Pouvoirs Publics qui définissent la ligne de conduite de la filière sucrière et qui fixent, actuellement, les règles du jeu à tous les niveaux névralgiques. L’administration détermine le prix payé aux producteurs de betterave et de canne à sucre au niveau de l’amont agricole, le système de tarification douanière et les taux appliqués aux importations, le forfait payé par la Caisse de compensation et le prix de vente des produits finis aux consommateurs.

Le rôle de Cosumar se réduit, en quelque sorte, dans le système actuel, à une activité de façonnage pour répondre aux besoins du marché, dans le cadre défini par l’Etat. De son côté, Cosumar a des engagements à tenir vis-à-vis des agriculteurs, afin de sécuriser leurs revenus, et de préserver la pérennité de l’amont agricole sucrier. Elle doit accompagner l’amont agricole, et y généraliser les bonnes pratiques, pour améliorer la productivité des surfaces affectées aux cultures sucrières.

La filière de production du sucre, secteur intégré, est organisée autour de règles qui définissent les rôles de tous les intervenants, et des dispositions pour les faire respecter. Cette organisation, si elle est bien animée, fera sans doute que tous les intervenants contribueront de la manière requise au développement compétitif de la filière sucrière, dans une stratégie gagnant-gagnant.

Il faut souligner à cet égard que la filière sucrière est régulée et organisée par l’Etat dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement. D’une part, elle est souvent fortement intégrée dans l’amont agricole, induisant ainsi une création et distribution de richesse importante. D’autre part, chaque Etat producteur veut s’assurer de son bon développement, pour ne pas exposer son marché domestique aux fluctuations de volumes et de prix sur les marchés internationaux très volatiles.

Loi sur la concurrence :

Ceux qui se réfèrent aux dispositions de la loi sur la concurrence peuvent être rassurés : non seulement c’est l’Etat qui a bien mené le processus de la privatisation qui a mis Cosumar en situation d’opérateur unique, mais les juristes de Cosumar se sont assurés, au cours de la concrétisation de cette privatisation, que tous les aspects juridiques de l’opération étaient conformes aux exigences des lois applicables.

Concentration de pouvoir au niveau d’un opérateur marocain unique :

Il y avait un prétendant français et un prétendant espagnol à la reprise des 4 sucreries. Aucun marocain ne peut regretter que ce soit l’opérateur marocain numéro 1 du secteur qui ait fait la meilleure offre sur les plans technique et financier, et qui ait remporté le résultat. Les décideurs économiques ont opté pour l’offre de Cosumar parce qu’ils connaissent sa compétence dans ce domaine, parce que son offre est crédible, et n’a rien à envier aux opérateurs étrangers.

Si on pense maintenant à la taille des unités de production elles-mêmes, il faut réaliser que nos grandes unités ne sont que des PME quand elles sont comparées aux unités européennes ou américaines.

Intégration des sucreries nationales dans le Groupe Cosumar :

La société est consciente de la nécessité d’un projet concerté d’intégration et de développement de l’industrie sucrière, englobant l’ensemble des 14 unités de raffinage et de transformation. A cet effet, elle a élaboré un projet ambitieux, dénommé « Intégration, Développement Industriel, Mise A niveau GlobalE » , soit « INDIMAGE 2012 », qui vise à améliorer sa compétitivité et à assurer une meilleure satisfaction de ses clients.

Ce projet s’articule autour de cinq axes majeurs :

- L’accompagnement de l’amont agricole sucrier dans la définition et la réalisation d’un plan de développement et d’amélioration des performances,

- La construction d’un solide partenariat gagnant-gagnant et pérenne avec tous les acteurs du secteur,

- La mise à niveau et le développement de l’outil industriel pour l’amener aux standards internationaux,

- L’amélioration de l’organisation et des processus métiers et de gestion,

- Le partage des mêmes valeurs d’entreprise en vigueur dans le Groupe favorisant la culture de la performance.

Afin de réussir ce grand défi, le Groupe Cosumar, a d’ores et déjà identifié différentes synergies, immédiatement mobilisables, à travers la mise en œuvre de 18 chantiers d’intégration et de développement qui couvrent les principaux champs d’action.

Investissements et financement :

Pour financer les investissements requis, le Groupe compte utiliser un emprunt bancaire d’un montant de 700 mdh, et mobiliser en accompagnement les flux de trésorerie interne des sociétés.

Flambée du prix du sucre sur le marché international :

De nombreux facteurs ont été à l’origine d’une hausse considérable du prix du sucre depuis novembre dernier. On peut en citer trois :

- une forte spéculation sur ce produit de la part des fonds de pension américains ;

- une baisse du volume de sucre brésilien offert sur le marché international. En effet, la hausse du prix du pétrole a poussé les Brésiliens à se reporter sur l’utilisation de l’éthanol, fabriqué à base de canne à sucre, comme carburant des véhicules, en substitution à l’essence devenu trop cher. Comme le Brésil est le premier producteur mondial de sucre, l’effet de ce transfert est important, parce que les trois-quarts des véhicules brésiliens vendus roulent indifféremment à l’éthanol ou à l’essence.

- les nouvelles orientations de l’Union européenne en matière sucrière ont également eu leur effet sur le volume de sucre faisant l’objet du commerce international. Critiquée par de nombreux pays producteurs de sucre, qui l’accusent de subventionner ses producteurs, l’Union Européenne se retire actuellement du marché international du sucre, dans lequel elle traitait jusqu’à 5 mt.

Il faut savoir que 30 % seulement du sucre produit dans le monde fait l’objet de négoce international, dont une grande partie est échangée dans le cadre d’accords bilatéraux. Donc, moins du cinquième de la production mondiale se retrouve vraiment sur le marché international, d’où les fluctuations importantes qu’on peut y observer.

Les autorités marocaines ont suspendu l’application de la tarification douanière, pour conserver le niveau du prix cible actuellement en vigueur, soit un maximum de 4 700 dh/t, quel que soit le cours du marché international. Etant donné que le Maroc dépend des importations de sucre brut pour assurer plus de la moitié de la production nationale de sucre raffiné, c’est un problème important que les autorités étudient actuellement, en vue de lui apporter la solution appropriée.

Accord de libre échange avec les Emirats Arabes Unis :

L’accord de libre échange spécifie clairement que les produits bénéficiant de ses dispositions doivent avoir une valeur ajoutée de 40 % réalisée dans le pays d’origine. Les professionnels du sucre savent que le sucre importé des EAU ne peut pas prétendre à ce taux de valeur ajoutée, pour des raisons techniques, et ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de l’ALE.

Les relations avec l’ONA :

Elles sont, bien sûr, excellentes. En sa qualité de filiale du Groupe ONA, la gestion de Cosumar s’inscrit dans le cadre des orientations stratégiques de ses actionnaires. Mais, chaque filiale a ses propres organes de prise de décision et de management. Le Conseil d’administration de chaque filiale contrôle et oriente le fonctionnement et le développement de la société concernée.


Volet n° 3 : La filière sucrière marocaine

Khalid Chraibi

Dans les premières années suivant l’indépendance du Maroc, les Pouvoirs Publics ont appliqué une stratégie de développement économique axée, entre autres priorités, sur le développement de productions nationales en substitution aux importations, dans les secteurs où cela était faisable.

A l’époque, la consommation nationale de sucre était légèrement inférieure à 400 000 t. Les trois usines de raffinage existantes (dont Cosuma, filiale de la société sucrière Saint-Louis de Marseille, représentait plus de 80 % de la capacité installée) importaient du sucre brut qui était traité sur place, pour satisfaire près de 90 % des besoins des consommateurs, le solde étant importé sous forme de sucre blanc raffiné.

Les experts gouvernementaux estimèrent qu’il était possible de développer la production de sucre au Maroc, à partir de la culture de betterave sucrière et de canne à sucre, en substitution aux importations. Le projet se justifiait aux trois niveaux agronomique, économique et social. Il permettait de promouvoir de nouvelles cultures capables de servir de pôles de développement pour les activités agricoles au niveau des régions choisies, de réaliser des économies de devises considérables, et de sécuriser l’approvisionnement du marché en visant à atteindre progressivement l’autosuffisance alimentaire pour une denrée de première nécessité.

La première sucrerie nationale entra en activité à Sidi Slimane en 1963, pour traiter la production betteravière lancée dans le périmètre irrigué du Gharb sur une surface de 4000 ha. Une production de 84 000 t de betteraves y fut récoltée, donnant 12 000 t de sucre brut. Ce premier succès fut suivi de l’implantation de 11 autres unités sucrières dans 5 grandes zones de production : le Gharb, le Loukkous, Tadla, Doukkala et Moulouya. Le financement de ces investissements se fit souvent dans le cadre d’accords de coopération bilatérale avec des pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est, ce qui se traduisit par l’utilisation de technologies de production de sucre très différentes, et d’inégale efficacité, d’une unité à l’autre.

Une réglementation étatique rigoureuse fut appliquée à toute la filière sucrière. Les Offices de Mise en Valeur Agricole (ORMVA) assuraient la gestion de l’amont agricole (organisation des campagnes sucrières, approvisionnement en facteurs de production, financement, encadrement des agriculteurs…). Ils jouaient également le rôle d’intermédiaire entre les producteurs de matières premières (betterave et canne) et les sucreries. L’Office National du Thé et du Sucre (ONTS) importait le sucre brut livré aux sucreries pour leurs activités de raffinage.

L’Etat fixait les prix payés par les usines aux producteurs de la betterave et de la canne à sucre, le prix du sucre brut fourni aux raffineries, et celui du produit fini vendu au consommateur. Les Pouvoirs Publics décidèrent de maintenir ce dernier prix inchangé à un bas niveau, quel que soit le prix de revient du sucre produit localement dans les usines de transformation et les raffineries, parce que le sucre était considéré comme une denrée de première nécessité.

A cet effet, l’Etat décida d’appliquer au secteur un système de subvention géré par la Caisse de Compensation, dont les dispositions assuraient, entre autres, une marge bénéficiaire à chaque unité sucrière, quel que soit son coût de production.

Cette politique ambitieuse de développement de la filière sucrière se poursuivit pendant des années. Il en résulta une grande extension des périmètres irrigués affectés à ces cultures nouvelles. L’application d’une politique favorable des prix pour soutenir la production de betterave et de canne à sucre se traduisit par un développement continu de la production. Le taux d’autosuffisance passa de 4 % en 1960 à 28 % en 1970, dépassant 60 % dans les années 1980.

Comme il a été indiqué, Cosumar, l’opérateur privé dominant de la filière, dont l’Etat avait racheté la moitié du capital en 1967, procéda à l’implantation d’une sucrerie à Sidi Bennour, et d’une autre à Khemis Zemamra dans les Doukkala, dans les années 1970.

Au cours des années 1980, l’application par les Pouvoirs Publics marocains du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) recommandé par les organisations financières internationales se traduisit par un désengagement progressif du secteur public de toutes sortes d’activités au niveau du secteur sucrier. Puis, en 1996, d’autres mesures visant la dérégulation du secteur furent adoptées, dans le cadre de la nouvelle politique de libéralisation.

Ainsi, le système de compensation fut modifié pour assurer aux usines une subvention forfaitaire de 2000 dh par tonne vendue, dans le but de les inciter à mieux gérer leurs coûts de production, qui avaient connu une dérive sérieuse. L’augmentation régulière de la consommation de sucre, conjuguée à de fortes hausses du prix d’achat sur le marché international, déboucha sur une forte croissance du montant total de la compensation au sucre, qui passa de 50 mdh en 1985 à 800 mdh en 1996 et à 2 milliards dh en 2002.

Un nouveau système de tarification douanière fut également mis en place, s’appliquant aux importations de sucre, visant à maintenir le prix de revient du sucre importé autour des niveaux observés pour les produits locaux.

En 1997, en préparation de la libéralisation du secteur, l’Etat procéda au regroupement des entreprises publiques du secteur sucrier en quatre sociétés : Sunabel, Surac, Suta et Sucrafor.

Leur transfert au secteur privé fut à l’examen pendant de nombreuses années, sans que se présente un repreneur sérieux, à cause des difficultés financières importantes de ces sociétés et du manque de visibilité du secteur sucrier, dans l’attente des dispositions spécifiques de la politique de libéralisation qui devait lui être appliquée.

Ce n’est qu’en septembre 2005 que cette privatisation put être concrétisée, lorsque Cosumar, un opérateur national chevronné, détenteur d’une expertise de 75 ans au niveau de la production industrielle et de plus d’un quart de siècle au niveau de l’amont agricole, procéda à l’acquisition des quatre sucreries pour un montant de 1367 mdh, donnant naissance à un opérateur unique au niveau de la production de sucre au Maroc : le Groupe Cosumar.


Volet n° 4 : Le sucre dans le monde

Khalid Chraibi

Le sucre est un glucide présent à l’état naturel dans tous les fruits et légumes. Produit par photosynthèse, le processus naturel qui transforme la lumière du soleil en énergie vitale, il est présent en grande quantité dans la canne à sucre et dans la betterave à sucre, toutes deux utilisées pour la production commerciale de sucre.

La canne à sucre, une herbe géante qui croît en climat chaud et humide et emmagasine le sucre dans sa tige, aurait d’abord poussé à l’état naturel dans les îles du Pacifique Sud il y a 4000 ans. On la retrouve en Inde, où la technique d’extraction et de transformation du jus de canne en « sarkara » (origine sanskrit du mot « sucre ») aurait été développée vers 500 av. J.C. Les Perses, puis les Grecs rapportent chez eux ce « roseau qui produit du miel, sans le concours des abeilles ». Le savoir-faire se propage vers la Chine, l’Iran et le monde musulman, avant d’atteindre, des siècles plus tard, le monde occidental, lors des croisades.

La betterave, en tant que substitut de la canne, ne sera connue que vers le milieu du 18ème siècle, quand le chimiste berlinois Andreas Sigismund Marggraf prouve que le sucre de betterave et celui de canne sont identiques. S’acclimatant mieux en climat tempéré et emmagasinant le sucre dans sa racine blanche, elle connaîtra son essor en France grâce aux mesures d’encouragement édictées par Napoléon pour encourager la production de sucre de betterave à l’époque du « blocus continental ». En 1900, près de la moitié de la production mondiale est à base de sucre de betterave, mais la proportion n’est plus que d’un tiers à la fin du 20è s.

Le sucre est utilisé soit de manière directe, en tant que « sucre de bouche », présenté en morceaux ou en poudre (20 % des ventes en France) ; ou de manière indirecte, quand il est incorporé par différentes industries alimentaires, chimiques et pharmaceutiques dans leurs produits (80 %). Les sucres que l'on trouve dans les aliments contenant des glucides se transforment tous en glucose dont le corps se sert comme énergie.

En l’an 2000, 31 millions d’ha étaient affectés aux cultures sucrières dans 111 pays (38 pays cultivant la betterave, 65 la canne, 8 les deux) ; 2440 sucreries étaient en activité (790 de betterave, 1560 de canne) ; le chiffre d’affaires atteignait 65 milliards $ H.T., réparti entre 80 pays exportateurs et 150 pays importateurs ; l’activité générait 2 millions d’emplois.

En 2004-2005, la production mondiale de sucre blanc s’élevait à 142 m t, dont le tiers environ (54 m t) était destiné aux exportations. Les principaux pays producteurs de sucre de canne sont : le Brésil (28 m t), l’Inde (14 m t), la Chine (9 m t), le Mexique (6 m t), l’Australie (5.5 m t), la Thaïlande (5.4 m t).

Les plus grands producteurs de sucre de betterave incluent : l’Allemagne (4.7 m t), la France (4.5 m t), les E.U. (4.2 m t).

Les principaux pays exportateurs sont : le Brésil (19.2 m t), l’U.E. (6.1 m t), l’Australie (4.2 m t), la Thaïlande (3.2 m t), l’Afrique du Sud (1.2 m t), le Guatemala (1.1 m t), la Colombie (1.1 m t), Cuba (0.9 m t).

Les principales multinationales opérant dans le secteur incluent des géants tels que : Tate & Lyle en Grande Bretagne ; ou en France : Groupe Tereos (11 sucreries), Saint Louis Sucre (5 sucreries), Groupe Cristal Union (4 sucreries), Groupe Vermandoise (4 sucreries).


Encadré indépendant sur

ETHANOL

La production d’alcool éthylique d’origine agricole (éthanol) se fait par fermentation du sucre contenu dans les jus extraits de betterave ou de canne, dans les sirops issus de la cristallisation ou dans la mélasse. L’alcool obtenu de la betterave a plusieurs destinations : alcool de bouche et d’industrie, carburant, parfumerie ou encore pharmacie.

Il prend le nom de bioéthanol lorsqu’il est utilisé comme carburant. Soit il est incorporé directement à l’essence à hauteur de 10 % à 25 %, soit il est utilisé pur dans certains moteurs. Il s’agit du biocarburant le plus utilisé dans le monde à l'heure actuelle. En Europe, on utilise l’ETBE (Ethyltertiobutyléther), un mélange contenant pour moitié du bioéthanol et un dérivé pétrolier. L’ETBE est incorporé à l’essence super sans plomb jusqu’à 15 %.

A la fin de l’année 2005, le gouvernement français s’est engagé à promouvoir une incorporation directe de bioéthanol dans les essences à hauteur de 5,75 % en 2008 et 7 % en 2010. Ces mesures participent ainsi au programme écologique de réduction des émissions de gaz à effet de serre (accords de Kyoto) ainsi qu’à la réduction de notre dépendance énergétique.

Marché français de l’éthanol : en 2005, les surfaces de « betterave alcool » s’élèvent à 39 000 hectares dont 11 000 hectares pour la production de bioéthanol. Pour la campagne betteravière 2004-2005, la production française totale d’éthanol est de 4,5 millions d’hectolitres, dont 1 million d’hectolitres pour le bioéthanol.

Marché mondial de l’éthanol : en 2005, les 5 premiers pays producteurs d’éthanol sont le Brésil, les Etats-Unis, l’Inde, l’Union Européenne et la Russie. Le Brésil et les Etats-Unis occupent de très loin les deux premières positions : 167 millions d’hectolitres pour le Brésil (éthanol produit à partir de la canne) et 165 millions d’hectolitres pour les Etats-Unis (éthanol produit à partir du maïs). (Source : CEDUS Centre d’Etudes et de Documentation du Sucre, Paris, Le Sucre, Memo Statistique 2005).