vendredi, août 31, 2007
Mis en ligne en mai ? 2007
Oumma.com
Charia, droits des femmes et lois des hommes
Khalid Chraibi
Depuis un quart de siècle, un fort vent de conservatisme religieux souffle dans de nombreux pays musulmans, avec des effets dévastateurs sur les droits des femmes. Au nom d’un retour à la pureté du temps de la Révélation, des groupes extrémistes ont décrété, à leur accession au pouvoir en Afghanistan, en Malaisie, en Somalie ou au Nigéria, une stricte ségrégation entre les sexes dans les lieux publics, les hôpitaux et le système éducatif, etc.. Ils ont imposé aux femmes le port de vêtements tels que le hijab, le niqab ou la « burqua », et leur ont interdit, entre autres mesures répressives, d’exercer toute activité professionnelle.
Sous prétexte d’appliquer la charia, ils ont bafoué non seulement les droits que l’Islam avait octroyés aux femmes dès le 7è siècle, mais également l’essentiel des acquis des femmes en matière juridique, économique, politique et sociale, qu’elles avaient obtenus à l’issue de décennies de haute lutte à travers les pays musulmans, tout au long du 20è siècle.
Cette régression des droits des femmes prend actuellement, et avec le passage des ans, une ampleur croissante dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie. Etrangement, elle fait également des adeptes dans les communautés musulmanes d’Europe et d’Amérique du Nord. Même des pays qui avaient échappé aux tourmentes de l’extrémisme, à travers leur histoire, tels que la Tunisie et le Maroc, en sont aujourd’hui affectés.
Face à l’assaut des courants religieux conservateurs sur les droits des femmes, les associations féminines musulmanes ont dû revoir leur stratégie. Pendant des décennies, elles avaient mis l’accent sur la nécessité d’appliquer dans leur intégralité les dispositions des conventions internationales sur les droits de la femme que les pays musulmans avaient signées, sous l’égide de l’ONU. Elles insistaient, en particulier, sur la nécessité de lever les réserves exprimées par les gouvernements de ces pays au sujet de diverses dispositions de ces conventions, qui les vidaient d’une grande partie de leur contenu.
Sous la pression de la nécessité, de nombreuses associations se sont attelées à la lecture attentive de la charia, afin de développer de nouveaux outils pour lutter efficacement contre les discours des extrémistes religieux. Comme l’explique la pakistanaise Riffat Hassan, elles ont découvert, à leur grande surprise, qu’il existait un grand fossé « entre ce que le Coran disait au sujet des droits des femmes et ce qui se faisait en réalité dans un environnement culturel islamique ».
« Par conséquent », observe-t-elle, « il faut distinguer entre le texte coranique et la tradition islamique. Ce sont les hommes qui ont procédé, presque exclusivement, à l’interprétation du Coran, depuis les temps les plus anciens. Ils faisaient cela au sein d’une culture patriarcale dominée par eux. Le Coran a donc été interprété du point de vue culturel des hommes – ce qui a évidemment affecté les droits des femmes. »
La Nigérienne Ayesha Imam a procédé à une étude minutieuse de cette question, dans un article intitulé « Les droits des femmes dans les lois musulmanes ». Elle explique qu’il faut “distinguer entre l’Islam – la voie d’Allah – d’une part, et ce que les musulmans font, d’autre part. » D’après elle, l’Islam ne peut pas être remis en cause, mais ce que les musulmans font peut l’être, car ce ne sont que des êtres humains, qui sont sujet à l’erreur.
D’après elle, bien que les lois religieuses tirent leur inspiration du divin, elles ne doivent pas être confondues avec des lois divines. La charia incorpore le facteur humain dans tous les aspects de son élaboration, de son développement et de sa mise en œuvre. Le nombre de versets coraniques à la base de la charia est très modeste, comparé à la multitude et à la complexité des règles juridiques qui constituent le corpus du droit musulman. Même les experts n’arrivent pas à s’accorder sur le sens exact de divers versets coraniques. Par ailleurs, il est admis que de nombreux hadiths sont apocryphes, et sont le produit de luttes entre sectes ou entre dynasties. Certains hadiths relevant de cette catégorie semblent avoir eu pour unique objectif de réduire les droits des femmes, bien qu’ils ne puissent s’appuyer ni sur des dispositions coraniques ni sur d’autres hadiths pour les conforter.
Ayesha Imam note, à ce propos, que les musulmans croient, à tort, que la charia est la même dans l’ensemble des pays musulmans, alors qu’elle varie de manière considérable d’un pays à l’autre, et d’une époque à l’autre. Cela est parfaitement illustré par l’existence de quatre grandes écoles de pensée juridique dans la seule tradition de la sunna (et qui s’élevaient à une vingtaine dans des temps plus anciens). Il existe également un rite shiite regroupant un nombre considérable d’adeptes, et de nombreux courants religieux d’importance moindre, qui regroupent néanmoins des millions d’adhérents chacun.
Les fondateurs des quatre grandes écoles de pensée juridique sunnite ont emphatiquement souligné, en leur temps, que leurs interprétations des dispositions de la charia ne devaient en aucun cas être considérées comme des données définitives, qui lieraient les musulmans en tous lieux et en tous temps. Par conséquent, observe-t-elle, « le refus de l’ijtihad n’obéït pas à une prescription religieuse. Ni le Coran ni la Sunna n’exigent cela. Bien au contraire, aussi bien le Coran que la Sunna encouragent la pensée individuelle, le raisonnement et la diversité d’opinion. »
A l’appui des observations de Mme Ayesha Imam, on peut citer la multiplicité de codes nationaux de statut personnel appliqués, aujourd’hui, dans les pays musulmans. Les exemples d’évolution des dispositions de la charia à travers le temps, dans le même pays, abondent également. Les différents textes de loi formant code du Statut Personnel, qui ont été successivement appliqués en Egypte au cours du 20è siècle, illustrent cette proposition.
Le Code du Statut Personnel appliqué au Maroc peut également servir d’illustration, ayant enregistré des modifications considérables, entre sa première version adoptée en 1957, au lendemain de l’accession du pays à l’indépendance, et le nouveau Code de la famille adopté en 2004.
Il faut noter que ce dernier est le fruit d’un demi-siècle de lutte des associations féminines marocaines pour la réforme de nombreuses dispositions restrictives que le texte de 1957 comprenait et ce, face à une opposition acharnée des mouvements religieux conservateurs, en particulier au cours des dernières années. Ces derniers ont d’ailleurs failli faire capoter le projet de réforme, qui ne put être sauvé que grâce à l’appui personnel décisif du roi Mohamed VI.
Le Code marocain de la famille de 2004 place cette dernière sous la responsabilité conjointe des deux époux. Il permet à la femme d’agir comme son propre tuteur, et fixe à 18 ans l’âge minimum de mariage des personnes des deux sexes. Il impose des conditions draconiennes au mariage dans le cadre du régime de polygamie et encourage l’épouse à inclure dans le contrat de mariage, si elle le désire, une clause pour interdire un second mariage de l’époux. Il place la répudiation sous un strict contrôle judiciaire et exige la répartition équitable des biens du couple avant que le divorce ne puisse être finalisé.
L’exemple marocain est intéressant à étudier, dans la mesure où toutes les dispositions du nouveau Code sont basées sur une lecture attentive, minutieuse et complète de la charia, dans toute sa complexité. Nul ne peut lui reprocher de s’être éloigné de la lettre ou de l’esprit du droit musulman, pour incorporer des concepts et des règles issus de la culture occidentale.
La comparaison des dispositions des textes de loi adoptés au Maroc en 2004 et en Egypte en 2000 témoigne, quant à elle, des divergences considérables dont les juristes musulmans peuvent faire preuve dans l’interprétation et l’application de la charia, même dans le cas de pays musulmans à culture relativement comparable, par ailleurs. Les juristes musulmans s’enorgueillissent de cette flexibilité du droit musulman, qui constitue pour eux la preuve de sa vitalité. Les associations féminines peuvent aussi s’en réjouir, puisqu’elle peut leur permettre de réaliser des progrès considérables en matière de droits des femmes musulmanes, dans le respect aussi bien de la lettre que de l’esprit de la charia.
Economia n° 7 - septembre 2006
Chronique entreprise
Paradoxes
Khalid Chraibi
A l’ère de la mondialisation, les marocains ressentent beaucoup d’attrait pour tout ce qui provient de l’étranger, qu’il s’agisse de produits, de services ou de conseil. Mais, dans certaines situations, cet intérêt devient manifestement excessif, et nous fait perdre de vue nos intérêts bien compris.
Ainsi, de nombreuses communes confient-elles à des organismes étrangers la gestion des activités de distribution d’eau et d’électricité, ou de ramassage des ordures ménagères, etc. Ne serait-il pas plus raisonnable de les confier à des opérateurs marocains expérimentés, à un moment où tout devrait être mis en œuvre pour promouvoir l’emploi dans le pays ? Ou bien estime-t-on qu’ils ne peuvent pas maîtriser la technicité de telles opérations ?
D’autres services nécessitant des investissements plus lourds mais générant aussi des bénéfices plus intéressants, tels que la gestion d’autoroutes ou de ports, sont également souvent confiés à des opérateurs étrangers, après un demi-siècle d’indépendance.
De même, au niveau du conseil d’entreprises, des commandes pour des montants considérables sont régulièrement passées aux cabinets spécialisés étrangers, au détriment des professionnels marocains oeuvrant dans les mêmes domaines d’activité. Pendant ce temps, les jeunes marocains diplômés des meilleures écoles étrangères hésitent à rentrer au pays, une fois leurs études terminées, de peur de se retrouver au chômage.
Lorsque ces jeunes marocains décrochent un travail à l’étranger, dans une multinationale, faut-il s’en réjouir ? Car, la société marocaine perd tout le bénéfice de l’investissement national considérable qu’elle a effectué dans leur formation pendant une vingtaine d’années, au profit d’opérateurs étrangers.
L’attrait de l’étranger se manifeste également, au niveau industriel, à l’occasion de la cession des fleurons de l’industrie marocaine à des investisseurs étrangers. Il ne s’agit, le plus souvent, que d’un transfert de titre de propriété, sans grande signification sur le plan économique, mais l’événement est célébré comme une étape marquante dans le développement de l’industrie nationale. Est-ce bien raisonnable de se réjouir de la cession de notre patrimoine, qui ne devrait s’effectuer que lorsque nous y sommes contraints et forcés ?
Sur un plan un peu différent, au niveau des entreprises, le marché national a été inondé, au cours des dernières années, dans le cadre de la « mondialisation », de milliers de produits et de services de toutes provenances, répondant aux besoins les plus courants comme aux goûts les plus exotiques des consommateurs et des investisseurs.
Le consommateur marocain ne peut que s’en réjouir, bien sûr. Mais, de nombreux entrepreneurs marocains voient la part de marché de leurs produits rétrécir comme une peau de chagrin, entraînant des difficultés de tous ordres, qui mènent à des réductions de personnel ou même à des fermetures d’usines.
Par ailleurs, les produits marocains connaissent souvent de grands déboires sur les marchés étrangers. Où sont donc passés les bienfaits de la mondialisation, tant vantés lors de la signature des accords internationaux ?
Enfin, certains marocains sont tellement subjugués par l’étranger qu’ils demandent une nationalité étrangère dès qu’ils disposent du moindre prétexte pour ce faire. Pendant ce temps, des citoyens moins favorisés perdent, semble-t-il, tout espoir de trouver un travail dans leur pays, d’y fonder un foyer, ou d’y construire leur avenir. Ils n’hésitent pas à traverser l’océan dans de frêles embarcations, au péril de leur vie, pour entrer sans papiers dans des pays étrangers où ils espèrent, éventuellement, un jour, obtenir un travail et régulariser leur situation.
Ne serait-il pas plus raisonnable, dans ces conditions, de faire preuve de plus de solidarité au niveau national, et d’œuvrer tous ensemble pour réduire ces paradoxes ? Ne pouvons-nous pas mettre en commun nos ressources, notre savoir-faire, notre ingénuité, pour construire le Maroc de demain, au lieu d’offrir ce que nous avons de mieux à des étrangers, au détriment de la communauté nationale ?
Economia n° 4
Entreprise du mois
Groupe CDG : une institution financière publique dédiée au développement
Khalid Chraibi
La Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) est une institution financière publique chargée de recevoir, de conserver et de gérer des ressources d’épargne qui, de par leur nature ou leur origine, requièrent une protection spéciale (dépôts, consignations, fonds de retraite…). Elle gère des actifs totalisant près de 100 milliards dhs, détenus en grande partie sous forme de valeurs du Trésor et de participations dans des sociétés cotées en Bourse. A côté de ses missions financières de base, le groupe CDG a été chargé dès ses débuts d’un rôle de levier de développement dans de nombreux secteurs économiques tels que la promotion immobilière, le tourisme, l’aménagement de zones (touristiques, urbaines et industrielles), les infrastructures, les services aux collectivités locales… De telles opérations constituent, aujourd’hui encore plus qu’hier, un vecteur majeur d’activités du groupe.
Lors de sa création en 1959, la CDG avait eu pour mission de centraliser certains types d’épargne requérant une protection spéciale (dépôts, consignations…), et de canaliser leur emploi dans des investissements productifs dans des domaines où ils jouissaient d’une sécurité adéquate, tels que les assurances, l’immobilier ou même le tourisme, désigné comme secteur prioritaire à l’époque. La Compagnie Générale Immobilière (CGI) et la Société Centrale de Réassurance (SCR) furent créées en 1960, suivies de Maroc Tourist en 1961.
Par la suite, la CDG développa très fortement aussi bien ses ressources que ses emplois, dans les secteurs de la gestion de fonds institutionnels, la prévoyance, la finance et les assurances. Elle créa ou prit le contrôle d’institutions spécialisées leaders dans leur domaine d’activité telles que CIH, Sofac-Crédit, SNI, Maroc-Leasing, Caisse Nationale de Retraites et d’Assurances (CNRA), Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR), Caisse Marocaine des Marchés (CMM)…
Pendant 45 ans, la CDG accompagna les transformations de l’économie nationale en s’adaptant pour répondre aux besoins de chaque époque ou pour saisir les opportunités qui s’offraient à elle. Elle développa ainsi une expertise et un savoir-faire propre dans de nombreux métiers, réalisant par exemple de grands projets d’urbanisme tels que Hay Ryad à Rabat, tout en devenant un acteur principal dans le marché financier.
Aujourd’hui, le Groupe CDG est un acteur de référence dans ses principaux métiers : Gestion des fonds institutionnels et prévoyance, Banque finance et assurance, Développement territorial. Il ambitionne aussi de devenir un catalyseur d’investissements dans le long terme, grâce à l’expertise et au savoir-faire qu’il a développés dans la réalisation de grands projets territoriaux ainsi que dans l’animation des marchés financiers.
Les ressources du Groupe à fin 2005 ont atteint 96,86 milliards dhs (+ 5 % par rapport à 2004). Son bilan totalise 50 milliards dhs (+ 9 %), et les dépôts collectés près de 42 milliards dhs (+ 10 %). Le portefeuille obligataire atteint 31,75 milliards dhs et le portefeuille « actions, placements et participations » 9,18 milliards dhs.
Le résultat net s’est élevé à 1,66 milliards dhs contre 1,17 milliards dhs en 2004 (+ 41 %). Le produit net bancaire de la seule CDG s’élève à 1,32 milliards dhs, comparé à 1,36 milliards dhs au cours de l’année antérieure.
Le Groupe emploie près de 5000 personnes dans une trentaine de filiales métiers.
Parmi les faits marquants des activités du Groupe au titre de l’exercice 2005, on peut relever les développements suivants par métier :
Au titre de la gestion des fonds institutionnels et prévoyance :
la CDG a conclu deux accords avec l’OCP et l’ONE pour le transfert global de leurs caisses de retraite respectives au RCAR, portant sur plus de 36 000 salariés et 31 000 pensionnés.
Un accord d’absorption a également été conclu avec la JLEC (Jorf Lasfar Energy company) pour que les droits à pension du personnel de cet organisme soient transférés au RCAR.
La CNRA prendra en charge la pension différentielle en complément de celle garantie par le RCAR en faveur du personnel de l’OCP, l’ONE et la JLEC.
La CDG est désignée comme établissement dépositaire et gestionnaire des fonds issus de l’Assurance Maladie Obligatoire.
Au volet Banque Finances et Assurances :
Le plan de redéploiement de la BNDE est parachevé. La CDG procède à la demande de retrait de son agrément, en même temps qu’elle crée la banque d’investissement du groupe CDG, dénommée CDG Capital.
La CDG prend le contrôle du CIH et confirme la volonté de développement de la banque.
La Société Centrale de Réassurance porte son capital à 1 milliard dhs.
La CDG développe un partenariat stratégique avec le Groupe Holmarcom visant à construire un pôle d’assurance important centré sur les compagnies Atlanta et Sanad.
Au titre de la réalisation des grands projets territoriaux structurants :
CDG Développement met en place sa nouvelle organisation et porte son capital à 1,73 milliards dhs.
Elle prend en charge ou participe à la réalisation de projets importants et diversifiés dont on peut citer à titre d’illustration : PDR de la ville de Fès, aménagement de la zone touristique Ghandouri , projet Casashore (première zone d’offshoring du Maroc située à Casablanca), projet Technopolis (la future cité de la technologie de Rabat-Salé), chantier de la Marina de Casablanca, et projet d’AMWAJ (dans le cadre du projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg).
Le groupe CDG a procédé par étapes, depuis le début des années 2000, à la redéfinition de ses structures, à l’adaptation de son organisation, à la définition d’orientations stratégiques claires et à l’adoption d’une déclaration de politique d’investissement visant à mieux gérer les risques afférents aux activités du Groupe, dans le but :
- de rester garant de la sécurité des fonds des déposants, tout en gardant à l’esprit les notions de performance et de rentabilité ; et
- de contribuer de manière significative à la réalisation des objectifs de développement économique et social du Maroc, dans le cadre des missions qui lui sont confiées, et en tirant le meilleur parti du savoir-faire de ses filiales.
Les principaux aspects de ces changements sont développés dans les différents volets de ce dossier.
Transmis le 26 avril 2006
Economia n° 4 mai 2006
Chronique Entreprise
La Banque Mondiale, la croissance et l’emploi
Khalid Chraibi
Depuis sa création au milieu des années 1940, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), également connue sous l’appellation de Banque Mondiale, procède à l’étude approfondie et régulière de la situation économique et des perspectives d’évolution des pays les plus divers de la planète.
Après avoir passé au peigne fin les économies dévastées des pays occidentaux, à la fin de la deuxième guerre mondiale, et aidé à leur reconstruction, elle a étendu ses talents en matière de finance, d’analyse et de conseil aux pays du Tiers Monde, à partir des années 1950, quand ils ont accédé en cascade à leur indépendance, et souhaité bénéficier des prêts à taux d’intérêt subventionné (et du savoir-faire fourni en bonus) de cette institution. Elle a ainsi développé une expertise sans pareil dans l’analyse des questions associées à la croissance et au développement économiques, tant sur le plan théorique que pratique, grâce aux ressources financières et humaines considérables qu’elle a pu mobiliser à cet effet, ainsi qu’aux économistes de renom qu’elle associe régulièrement à ses activités.
Par conséquent, un rapport de la Banque Mondiale sur l’évolution de l’économie marocaine, comme celui intitulé « Promouvoir la croissance et l’emploi par la diversification productive et la compétitivité » du 14 mars 2006 est toujours d’une lecture enrichissante.
Une réflexion énigmatique d’Elhanan Helpman, placée en exergue, fournit le fil directeur de l’exposé :
« Pourquoi certains pays sont-ils riches et d'autres pauvres ? Les économistes s’interrogent depuis l'époque d'Adam Smith. Pourtant, après plus de deux cents ans, le mystère de la croissance économique n'est toujours pas résolu. »
La Banque Mondiale note, à cet égard, que « la problématique de croissance au Maroc reste une énigme » et fait même au passage un mea culpa inattendu : « Dans la Stratégie de Coopération 2005-2009 (CAS), la Banque reconnaît la mauvaise compréhension de l’évolution de la croissance marocaine durant la dernière décennie, et d’une manière générale, de l’histoire de la croissance au Maroc. »
Mais, une fois ceci dit, la Banque procède au diagnostic détaillé de la situation actuelle, et lance des pistes de réflexion et des propositions pour montrer les voies par lesquelles le Maroc pourrait enclencher une croissance forte et pérenne, génératrice d’emplois.
Elle rappelle les atouts importants dont le Maroc jouit aujourd’hui, tels que : sa position géographique privilégiée, des prix relativement stables, une dette publique réduite, un système financier renforcé, de bonnes infrastructures, une éducation réformée, une politique volontaire de développement du tourisme et les réalisations de la politique de privatisation. L’image de marque du pays auprès des agences internationales de notation de risque est également bonne, du fait de sa stabilité politique et sociale.
Cependant, de l’avis de la Banque, la nécessaire transformation des structures de l’économie marocaine se fait trop lentement ; les exportations sont confrontées à une forte concurrence sur les principaux marchés étrangers ; le pays continue à réaliser une production à faible valeur ajoutée ; la compétitivité des produits exportés laisse à désirer, tant au niveau de la qualité que des prix.
La Banque dresse alors la liste de certaines contraintes importantes qui se dressent, à son avis, dans la voie d’une forte croissance :
un marché du travail rigide ;
une politique fiscale qui exerce une charge trop élevée sur les entreprises et représente un handicap pour le recrutement ;
un régime de change à parité fixe qui ne favorise pas la compétitivité internationale des produits ;
un niveau de protectionnisme encore élevé malgré les récentes réductions tarifaires et la signature de plusieurs accords de libre échange (ALE) ;
des défaillances de formation qui placent le Maroc parmi les pays qui ont le plus bas niveau de formation dans les entreprises.
Pour relancer une croissance forte, le rapport propose une panoplie de mesures, telles que : maintenir le salaire minimum à niveau constant ; réformer la fiscalité en réduisant l'impôt sur le bénéfice des sociétés et le taux d'imposition de l'IGR ; simplifier le régime de la taxe sur la valeur ajoutée ; effectuer progressivement la transition vers un régime de taux de change flexible ; accélérer la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires ; et octroyer aux entreprises des incitations additionnelles au titre de la formation.
Le rapport propose également d’adopter des mesures pour encourager l’embauche des demandeurs d'un premier emploi et des femmes, par une réduction temporaire du salaire minimum par exemple ; l'introduction à terme d'un programme d'assurance chômage ; et la réforme du système de sécurité sociale en vue de réduire la part de la pension dans le salaire brut, tout en renforçant les mécanismes de cotisations volontaires.
Nombre de propositions contenues dans ce rapport reflètent le point de vue des opérateurs économiques marocains et leur sembleront parfaitement légitimes.
Différents groupes sociaux considèreront certaines propositions comme plutôt discutables, en fonction de leurs intérêts et acquis. Le lecteur marocain sera probablement déçu de voir qu’il est encore demandé aux classes sociales les plus défavorisées de faire des sacrifices, en attendant les jours meilleurs.
Contrairement à ce que Elhanan Helpman affirme, depuis qu’Adam Smith a publié ses « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » en 1776, les sciences économiques ont fait preuve d’une grande richesse, vitalité et créativité dans l’analyse des rouages économiques nationaux, l’identification des facteurs de croissance et l’évaluation de leur rôle dans les contextes économiques les plus divers.
Le livre de théorie économique le plus célèbre du 20è s., « La théorie générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie » de John Maynard Keynes, publié en 1936, fut entamé comme une réflexion sur les causes du chômage et les politiques susceptibles de le résorber, à la suite de la crise de 1929. Mais Keynes se rendit vite compte que les emplois durables ne pouvaient pas être créés à coups de palliatifs, et que c’étaient les mécanismes de base de l’économie qui devaient être réévalués dans leur ensemble, en vue de créer les conditions propices à la croissance économique, seule capable de générer des emplois.
Bien que des milliers de livres et d’articles aient été publiés depuis cette époque sur ces questions, ils sont tous l’œuvre d’économistes issus de pays industrialisés, ou formés dans le moule de pensée des universités européennes et américaines. Ils abordent l’analyse de ces questions selon les paradigmes des pays industrialisés, ce qui explique qu’il n’y ait pas eu beaucoup de progrès dans l’analyse de ces questions, du point de vue des pays du Tiers Monde.
Transmis le 25 mai 2006
Economia n° 5, juin 2006
Chronique Entreprise
Formation et compétitivité
Khalid Chraibi
La formation continue du personnel est-elle un atout pour l’entreprise, dans ses efforts de développement de produits compétitifs et dans sa lutte pour l’accroissement de ses parts de marché ? Les chefs d’entreprise marocains ne le pensent pas, si l’on en croit une enquête citée dans le rapport de la Banque Mondiale sur l’économie marocaine, rendu public en avril 2006, sous le titre « Promouvoir la croissance et l’emploi à travers la diversification productive et la compétitivité ». Plus de 80 % des chefs d’entreprise interrogés ont déclaré ne pas offrir de formation professionnelle à leur personnel « parce qu’elle n’était pas nécessaire ».
Le dédain des entrepreneurs marocains pour les activités de formation « place le pays parmi ceux qui ont le plus bas niveau de formation dans les entreprises». Pire encore, il constitue, de l’avis de la Banque Mondiale, l’une des contraintes significatives qui réduisent la compétitivité des entreprises marocaines et découragent l’innovation, débouchant sur un faible taux de croissance aussi bien des unités concernées que de l’économie marocaine globalement.
Les auteurs du rapport observent, à cet effet, à titre d’illustration, qu’au Maroc « les travailleurs peu qualifiés et à faible valeur ajoutée prédominent dans les entreprises orientées vers l’export. Ceux qui ont passé moins de six ans à l’école représentent 45 % de leurs effectifs, et 7 % seulement ont effectué plus de 12 années de scolarisation. » De manière plus générale, ils relèvent qu’à peine 9 % des travailleurs marocains ont terminé leurs études secondaires.
Comment s’explique, dans ces conditions, le faible intérêt témoigné par les entreprises marocaines pour les activités de formation alors que, en contraste, pratiquement toutes les entreprises américaines, européennes ou asiatiques avec lesquelles elles risquent de se trouver en situation de concurrence sur les mêmes marchés offrent des opportunités de formation continue à leur personnel ?
Les réponses des entreprises marocaines à ce sondage méritent qu’on s’y arrête, parce qu’elles aident à identifier les vraies raisons pour lesquelles les activités de formation restent embryonnaires.
Ainsi, nombre d’entreprises déclarent-elles ne disposer que du strict volume de personnel nécessaire à leur bon fonctionnement, et sont donc réticentes à le libérer à des fins de formation, pendant les heures de travail.
D’autres unités craignent de voir le personnel qu’elles auront contribué à former les quitter pour un poste plus attrayant ailleurs, réduisant à néant le bénéfice pour l’entreprise des efforts de formation consentis.
Pour moins d’un-cinquième des chefs d’entreprise interrogés, ce sont des considérations d’ordre financier qui justifient leur désintérêt pour les activités de formation. Ils soulignent la nature fastidieuse et complexe du mécanisme de remboursement par les autorités concernées des frais des activités de formation, et le caractère imprévisible du montant des remboursements qui seront effectivement reçus par l’entreprise.
Les experts en formation ajoutent que la majorité des dirigeants marocains d’entreprises n’ont qu’une connaissance approximative des besoins de formation de leur personnel. Nombre d’entre eux sont habitués à gérer des « postes de travail » (et non pas les hommes qui les occupent), chaque membre du personnel ayant une fonction spécifique à remplir, tel un rouage dans une machine. Le chef d’entreprise est satisfait quand la machine tourne correctement, c’est-à-dire quand tous les participants sont en place et accomplissent leur tâche de la manière qu’il attend d’eux.
Les sociologues pourraient ajouter, dans ce contexte, qu’une majorité des décideurs dans les entreprises marocaines ne sont pas issus d’Ecoles Supérieures de Commerce, mais ont le plus souvent développé leur savoir-faire et aiguisé leurs talents en travaillant sur le tas, tout au long d’une longue carrière. Ne se basant que sur leur vécu, et en l’absence du référentiel culturel requis, il leur est difficile d’apprécier à sa juste valeur la contribution positive pour l’entreprise d’une formation continue du personnel, dont ils ne mesurent de manière évidente que le coût.
En tout état de cause, il est clair qu’une vision statique de l’employeur gérant des postes de travail ne peut guère intégrer de la manière appropriée la nécessité des activités de formation. En effet, celle-ci repose sur une vision dynamique des ressources humaines, intégrant comme paramètres de base la mobilité du personnel entre différentes fonctions, ainsi que la possibilité de progression d’un employé d’un niveau de responsabilité à un autre. Elle implique de ce fait l’existence de plans de carrière, ce qui est en rupture totale avec une vision statique des « postes de travail ».
Au moment où le Maroc se prépare à l’ouverture totale de ses frontières aux produits et aux opérateurs étrangers en 2010, il est plus nécessaire que jamais de placer l’entreprise marocaine dans les meilleures conditions possibles pour assurer sa pérennité, conserver ses parts de marché sur le plan interne, et développer ses activités d’exportation afin de profiter de la dynamique de la mondialisation.
Les activités de formation continue forment un élément essentiel de la mise à niveau du personnel des entreprises, afin qu’il contribue à produire des produits de qualité, au moindre coût, sans gaspillage, dans le respect des spécifications et des délais.
Il existe dans les grands centres industriels du pays une offre conséquente de programmes de formation adaptés aux besoins des différentes catégories de personnel d’entreprise, ayant son origine tant au niveau de l’OFPPT (Office de formation professionnelle) qu’à celui d’innombrables organismes privés de formation qui se sont multipliés depuis les années 1980.
Un régime de contrats spéciaux de formation (CSF) a été mis en place pour permettre aux entreprises à jour dans leurs contributions au titre de la taxe de formation professionnelle de se faire rembourser un pourcentage variable de leurs dépenses de formation (70 à 90 %) pour des programmes de formation essentiellement approuvés à l’avance. Mais les procédures des CSF sont « complexes, lentes et arbitraires », de l’avis des entreprises qui y ont recours.
Afin d’encourager les entreprises à recourir sur une grande échelle aux activités de formation, il est donc nécessaire de revoir l’ensemble du système de financement, en se fixant comme objectif le remboursement intégral aux entreprises concernées du coût des formations réalisées, de manière automatique, et sans délais. A cet effet, il serait temps d’assimiler le coût de ces formations, sur le plan du principe, aux charges normales de gestion.
L’entreprise procédant à des actions de formation devrait donc pouvoir passer directement les coûts encourus en charges, et réduire d’un montant correspondant les sommes qu’elle doit verser à l’Etat au titre de la taxe de formation professionnelle. Les services de l’Administration fiscale devraient procéder au contrôle de la véracité des charges de formation, selon les mêmes principes et modalités qu’ils appliquent au contrôle des autres charges de fonctionnement de l’entreprise.
Ce n’est qu’à ce prix que le Maroc pourra définitivement lever les obstacles qui se dressent dans la voie de la formation continue dans l’entreprise, garante elle-même de la compétitivité des produits marocains à l’ère de la mondialisation.
Economia
Mai 2007
La charia, le « riba » et la banque
Khalid Chraibi
Un courant religieux conservateur, prenant naissance dans les Etats du Golfe, se propage depuis plusieurs années dans les autres pays musulmans, s’étendant à de nombreux aspects de la vie quotidienne. Par exemple, sous l’influence des prédicateurs du Moyen Orient, des Marocains se demandent, aujourd’hui, (comme beaucoup de musulmans résidant en Europe et en Amérique du Nord), si les opérations de banque moderne sont conformes à la charia, alors que d’autres citoyens n’hésitent pas à affirmer que seules les opérations des « banques islamiques » sont « halal ».
Cette influence des Etats du Golfe sur la culture des musulmans résidant dans d’autres pays, ressort clairement de la question posée, au cours de l’été 2006, au prédicateur qatari Yusuf al-Qaradawi, alors en visite au Maroc : un Marocain peut-il licitement contracter un prêt à intérêt auprès d’une banque marocaine, pour financer l’achat d’un logement, puisqu’il n’existe pas au Maroc de banques offrant des « produits islamiques » ?
Le prédicateur s’est référé à une décision du Conseil Européen de
L’influence des prédicateurs du Moyen Orient sur les Marocains, en matière de choix bancaires, s’amplifiera, sans doute, au cours des prochaines années, du fait que Bank al Maghrib a maintenant autorisé le système bancaire national à commercialiser des « produits islamiques » sélectionnés, dans le cadre de « fenêtres » spécialisées. Le revirement des autorités marocaines, qui se sont opposées au cours des deux dernières décennies à ce genre d’opérations, s’explique, entre autres, par l’engagement des opérateurs des pays du Golfe à investir plusieurs milliards de dollars dans l’économie marocaine, à la seule condition qu’on leur fournisse les « conduits » adéquats.
Au cœur du débat sur les institutions bancaires des deux types, on trouve le concept d’intérêt. La banque moderne l’applique dans ses opérations, alors que la banque « islamique » en nie l’utilisation. Or, dans l’esprit de nombreux musulmans, le concept d’intérêt est inextricablement lié à celui de « riba », que le Coran interdit de manière explicite et sans équivoque.
Le riba recouvre en premier lieu l’usure, sur l’interdiction de laquelle il y a unanimité. Mais, d’après une majorité des oulémas, il englobe aussi « l’intérêt sous toutes ses formes ». Mais, de nombreux experts estiment, depuis le milieu du 19è s., que l’extension de la notion de riba aux intérêts bancaires, sur la base du « qiyas » et de l’ijtihad, s’est faite sur des bases juridiques discutables, dans la mesure où les opérations de banque moderne sont de nature totalement différente de ce qui existait en Arabie, au temps de
En effet, ce n’est qu’aux 19è et 20è s., suite à l’occupation de différents pays musulmans par des Etats européens, que les structures bancaires modernes, utilisant des instruments financiers incorporant le concept d’intérêt, ont fait leur apparition dans ces pays. Les oulémas ont assez rapidement compris le fonctionnement du système, et réalisé que l’intérêt constituait une rémunération justifiée du capital financier et de l’épargne.
C’est ce qui explique que, depuis un siècle et demi, les Grands Muftis d’Egypte et Sheikhs d’Al-Azhar, ayant assimilé cette conclusion, déploient des efforts théoriques considérables pour établir la différence entre les intérêts bancaires (aux retombées économiques positives et donc souhaitables) et le riba prohibé.
Ce n’est guère le lieu de citer, ici, toutes les fatwas significatives énoncées sur ces questions, en Egypte, pendant le dernier siècle. Muhammad Abduh, Mahmud Shaltut, Muhammad Sayyed Tantawi ou Nasr Farid Wasil (tous Grands Muftis d’Egypte et Sheikhs d’Al-Azhar), sont les auteurs de textes importants, pour ne citer que certains des noms connus sur le plan international. Tous ces éminents experts de la charia considèrent que l’assimilation du riba à l’intérêt bancaire est discutable, et constitue une interprétation abusive des règles du droit musulman.
Abd al Mun’im Al Nimr, ancien ministre des Habous d’Egypte, fournit une bonne illustration de ces propos : « L’interdiction du riba se justifie par le tort porté au débiteur. Mais, puisqu’il n’y a aucun tort porté aux personnes qui procèdent à des dépôts dans une banque, l’interdiction du riba ne s’applique pas aux dépôts en banque. » Des raisonnements similaires s’appliquent aux divers autres aspects des opérations bancaires.
Quand on limite le domaine du riba à celui de l’usure, comme le font ces juristes islamiques éminents, la banque moderne n’est plus concernée par le riba, puisqu’elle ne se livre pas à l’usure. Et c’est exactement cela le raisonnement marocain en la matière, par exemple.
Transmis le mardi 27 juin 2006
Economia n° 6
Juillet 2006
Chronique Entreprise
Khalid Chraibi
Le poste de Président de
Bien qu’une demi-douzaine de noms de candidats aient été avancés dans la presse, de manière récurrente, pendant des mois, aucune des personnalités mentionnées n’a franchi le pas décisif de déposer un dossier de candidature. Cet état des choses inquiéta suffisamment le Président sortant pour qu’il demande à son Conseil juridique de lui indiquer la procédure légale à appliquer le 30 juin, le cas échéant, si personne ne se portait candidat aux fonctions de Président dans les délais impartis.
La « frilosité » des candidats potentiels s’explique en partie, d’après certains, par les mésaventures que le Président sortant de
Mais, le facteur explicatif le plus important réside probablement dans les calculs électoraux pointus auxquels les candidats peuvent se livrer, sur la base de la nouvelle distribution des voix électorales par adhérent, après la réforme des statuts de 2005. Compte tenu de la multiplicité des « clans » au sein de
La candidature « impromptue » de M. Hafid Elalamy à la présidence de
Les grands groupes qui le parrainent le présentent comme un « candidat de la dernière chance », l’homme au profil idoine pour « débloquer la situation » et pour impulser
Le candidat Elalamy observe : « Prendre la responsabilité de
Le candidat veut établir un dialogue constructif avec l’ensemble des interlocuteurs : pouvoirs publics, partenaires sociaux et autres. Les adhérents attendent de
Il insiste sur la nécessité d’éviter toute confusion entre le politique, l’économique et le stratégique. Il est important que chacun joue sa partition, toute sa partition mais uniquement sa partition. Le candidat, qui est féru de musique, explique : « Prenez un orchestre philharmonique. Vous avez des percussions, des violons et un chef d’orchestre. Lorsque les violonistes déposent leurs violons et s’improvisent percussionnistes, nous obtenons une cacophonie. Chacun doit assumer pleinement sa mission. Lorsque, au sein de
Le discours séduit, autant que la personnalité chaleureuse du candidat. Mais, sera-t-il vraiment capable de traduire son discours dans les faits, et saura-t-il maintenir l’équilibre indispensable entre les PME et les grandes entreprises, dans les préoccupations de
Economia
Décembre 2006
Chronique Entreprise
Il n’est de richesse que d’hommes
Khalid Chraibi
L’Union Marocaine pour la Qualité (UMAQ) a organisé, du 13 au 17 novembre 2006, la Semaine Nationale de la Qualité sous le thème : « Investir dans nos ressources humaines, c’est développer nos performances ». Elle a également placé l’édition 2006 du Prix National de la Qualité sous le thème : "Croire dans les ressources humaines, c'est la clé du succès". L’UMAQ appelle ainsi l’attention des entreprises sur l’une des ressources les moins valorisées de notre pays.
En effet, quand le chef d’entreprise marocain dresse la liste des atouts dont son entreprise dispose pour développer et diversifier ses activités, pour améliorer ses produits, ou pour étendre sa part de marché, que ce soit sur le plan national ou à l’étranger, ce ne sont pas les ressources humaines de l’entreprise qui lui viennent spontanément à l’esprit. Il pensera plutôt à des facteurs à son avis plus importants tels que les infrastructures, les biens d’équipement et les ressources financières dont l’entreprise dispose, les marques importantes qu’elle commercialise, les brevets qu’elle détient, la part de marché qu’elle occupe, l’assistance technique étrangère qu’elle peut éventuellement mobiliser dans ses activités, etc. Par contre, dans son esprit, le personnel sera le plus souvent considéré comme un facteur de production de l’entreprise, qui fait partie des rubriques de charges, et non de celles des ressources.
Cette vision des choses n’est pas propre au secteur industriel. Elle prédomine dans tout le pays. Ainsi, bien que le Maroc soit un pays à vocation agricole, et que le nombre des experts en agriculture y soit des plus modestes, les ingénieurs agronomes marocains ont le plus grand mal à trouver un emploi dans les grandes propriétés agricoles privées. Les propriétaires terriens préfèrent, en effet, faire l’économie du salaire d’un ingénieur agronome, se contentant de petit personnel d’encadrement formé sur le tas pour prendre soin de leurs activités agricoles. Dans leur esprit, l’ingénieur agronome ne leur apportera pas grand’chose d’utile, pour justifier son salaire. Il ne sera pas une ressource qui enrichira leurs activités, mais plutôt une charge à éviter. Des exemples similaires, se rapportant à tous les métiers, viennent à l’esprit à foison.
En conséquence, on se retrouve dans la situation paradoxale où des diplômés de haut niveau, dans les spécialités les plus diverses, sont au chômage dans un pays où tout, en vérité, reste à faire pour répondre aux besoins quotidiens de la population ou pour améliorer son bien-être. Bien plus, ceux qui en ont la possibilité sont encouragés à partir à l’étranger, pour y chercher du travail, comme si le marché de l’emploi au Maroc était déjà saturé, et comme si ces diplômés ne pouvaient rien apporter d’utile à l’économie marocaine. Cette approche témoigne d’une méconnaissance grossière des données de la situation.
En effet, il y a cinq siècles déjà, le célèbre homme de loi et économiste français, Jean Bodin, affirmait : « Il n’y a de richesse que d’hommes ». Il signifiait par là que, dans le domaine militaire, sur lequel portait son analyse, ce sont les hommes, plus que tout autre facteur, qui font la puissance d’une nation. L’expérience des pays industrialisés au cours des derniers siècles témoigne, s’il en était besoin, que la proposition de Jean Bodin s’applique également à d’autres domaines, tels que ceux de l’économie ou de l’entreprise. En effet, les grandes puissances économiques contemporaines ont énormément misé, depuis plus d’un siècle, sur la valorisation de leurs ressources humaines, à travers l’enseignement généralisé, le développement de l’enseignement supérieur, l’aide aux étudiants, la formation professionnelle sur une grande échelle, la recherche, etc. Toutes ces mesures ont aidé à transformer les ressources humaines de ces pays en autant de leviers de développement de leur puissance et de leur richesse, tant au niveau des Etats qu’à celui des citoyens.
Aujourd’hui, les entreprises marocaines n’ont pas d’autre choix, si elles veulent survivre, que de se « mettre à niveau », selon l’expression consacrée, pour faire face, dans des conditions viables, à la concurrence internationale à laquelle elles seront confrontées, de manière de plus en plus vive, au cours des prochaines années. Il faut souligner à cet égard que même les entreprises qui faisaient le plus illusion, face à leurs concurrents nationaux, se sont révélées d’une grande vulnérabilité, ces dernières années, une fois confrontées à une concurrence étrangère déterminée.
Elles devront donc développer leur capacité de performance, en mettant en place des structures compétitives et des compétences techniques très fortes, que ce soit au niveau de leur organisation, de leur encadrement, ou de la gestion de leurs ressources matérielles, humaines, financières, techniques ou managériales.
La mise en place de structures et d’une politique de gestion méthodique des ressources humaines, à l’instar de ce qui se pratique dans les grandes entreprises occidentales, jouera un rôle essentiel dans le succès de cette opération, validant la proposition de l’UMAQ selon laquelle : « Croire dans les ressources humaines, c'est la clé du succès ».
Transmis à Economia le 25/12/06
Economia
Janvier 07
Chronique entreprise
Mise à niveau : les raisons d’un échec
Khalid Chraibi
Le programme de mise à niveau des entreprises marocaines a eu 10 ans en 2006, mais ni l’Union Européenne qui l’a parrainé sur le plan financier et technique, ni les organismes marocains qui lui sont associés n’ont songé à célébrer cet anniversaire, tant le bilan qui peut en être dressé est décevant, comparé aux attentes.
Pourtant, lors de son lancement il y a 10 ans, le programme était doté, a priori, de tout ce qu’il fallait pour réussir. Il se justifiait du fait que, depuis le milieu des années 1990, l’économie marocaine s’était résolument ouverte sur le monde extérieur, avec l’adhésion du Maroc à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1994, suivie de la signature de l’accord d’association avec l’Union Européenne (1996). Au cours des années suivantes, des accords ont été signés avec l’Association européenne de libre échange (1997) ; puis, avec la Turquie, la Tunisie, l’Egypte et
Dans l’optique de l’ouverture totale des frontières du Maroc aux produits et aux opérateurs étrangers en 2010, il était nécessaire de placer l’entreprise marocaine dans les meilleures conditions possibles pour assurer sa pérennité, conserver ses parts de marché sur le plan interne, et développer ses activités d’exportation, afin de profiter de la dynamique de la mondialisation.
Le programme de mise à niveau devait ainsi permettre de mener des actions dans des domaines aussi diversifiés que le renforcement des infrastructures ; l’amélioration de la formation professionnelle ; la promotion des exportations ; le renforcement des associations professionnelles ; le développement de l’infrastructure technologique ; la réalisation de diagnostics d’entreprises ; le financement de la mise à niveau, etc. Les associations professionnelles étaient mobilisées pour encourager leurs adhérents à y participer.
« Euro-Maroc Entreprise » fut créée pour gérer toutes ces activités sur le terrain. Elle devait réaliser des activités de pré-diagnostics, organiser le financement et la réalisation de diagnostics approfondis et de plans d’affaires, mettre en relation les entreprises marocaines avec des partenaires étrangers…
Mais, le programme eut beaucoup de mal à décoller, pour de multiples raisons. La multiplicité et la complexité des règles de fonctionnement de l’Union Européenne et les innombrables conditions à remplir pour le démarrage du programme entraînèrent des retards sévères dans sa mise en œuvre.
La démarche d’Euro-Maroc Entreprise était, de son côté, si pointilleuse et complexe, dans son souci de respecter toutes les règles et contraintes établies par l’Union Européenne pour la mise en œuvre du projet, qu’elle réduisit presque à néant son impact sur le secteur industriel. En 2002, Euro-Maroc Entreprise dressait le bilan suivant de ses opérations cumulées sur plusieurs années :
« Sur un total de 250 entreprises ayant déposé un dossier de demande à Euro-Maroc Entreprise depuis sa création, 150 ont été retenues et 100 pré-diagnostics ont été réalisés. Sur les 50 demandes déposées pour le passage à la deuxième phase, 20 ont pu être retenues jusqu’à présent. Un plan d’affaires a été réalisé pour une seule entreprise ».
Tirant la leçon de quelques cinq années de « démarrage » du programme, les différents partenaires procédèrent à sa refonte en 2002. En vue de dynamiser le processus, l’Etat renforça sa position comme acteur dans la mise en oeuvre du programme de mise à niveau. Mais, l’éparpillement des responsabilités entre de nombreux intervenants, en même temps que la centralisation des décisions à un niveau hiérarchique élevé, finit par gripper le système.
Une Agence nationale pour la promotion de
Les PME continuèrent d’expliquer leur peu d’empressement à y recourir par les nombreuses contraintes auxquelles elles étaient confrontées, dans les domaines de la fiscalité, du foncier et du crédit, entre autres.
Le programme continua d’être perçu par les utilisateurs potentiels comme un simple programme de bailleurs de fonds étrangers, qui ne suscitait guère de véritable mobilisation au niveau national. Il a fini par ressembler à une greffe que l’organisme aurait rejetée, pour de multiples raisons.
Seule, l’Union Européenne a sauvé la mise, grâce à sa stratégie gagnant-gagnant. En effet, si le programme de mise à niveau réussissait, il donnait beaucoup de travail aux cabinets-conseils européens qui devaient nécessairement être associés à l’opération de mise à niveau. Et s’il s’embourbait, c’étaient les entreprises européennes qui profiteraient de la situation, et trouveraient plus de facilité à s’imposer sur le marché marocain, face à des entreprises marocaines mal préparées à défendre leurs parts de marché.
Economia,
Février 2007
Chronique Entreprise
Plan « Emergence » et développement industriel
Khalid Chraibi
Avec l’ouverture progressive des frontières aux produits étrangers au cours des dernières années, le marché marocain a été inondé de produits d’importation qui ont connu une grande faveur auprès du public, au détriment des produits locaux. Des entreprises de plus en plus nombreuses connaissent de ce fait des difficultés certaines, parce qu’elles n’ont pas su mettre en œuvre des stratégies industrielles et commerciales efficaces pour protéger leurs parts de marché contre cette concurrence étrangère. L’échec de la politique de mise à niveau n’a fait qu’exacerber la vulnérabilité de telles entreprises.
Nonobstant cela, les industriels marocains sont invités à se tourner vers les marchés étrangers, pour y développer des débouchés pour leurs produits, afin de consolider leurs positions et de s’intégrer aux nouvelles donnes de la mondialisation du commerce. Mais, le peuvent-ils réellement ? Dans un monde industriel en mutation, à quel avenir l’industrie marocaine peut-elle raisonnablement aspirer ?
Les pouvoirs publics et les opérateurs industriels se sont évidemment sentis interpelés par ces questions au cours des dernières années, ce qui les a conduits à l’élaboration du plan « Emergence ». Ce dernier se propose de mettre en valeur les facteurs compétitifs d’industries marocaines choisies, pour mieux les positionner sur le plan international. Il s’articule, on s’en souvient, autour de quatre grands axes d’intervention :
Encouragement de la filière « offshore » de services et processus administratifs (tels que les « call-centers », la comptabilité, la gestion administrative, etc.) ;
Création de zones de sous-traitance industrielle centrées sur les activités d’exportation dans les domaines de l’automobile, de l’électronique, de l’aéronautique, etc. ;
La modernisation des secteurs agro-alimentaire (en particulier les fruits et légumes et les industries des corps gras) ; industries de transformation des produits de la mer ; textile ; et artisanat orienté export ; et
L’amélioration de l’environnement des affaires par la mise en œuvre de mesures appropriées d’ordre administratif, fiscal, etc., afin de donner aux opérateurs économiques les incitations et les appuis dont ils ont besoin pour développer leurs activités.
Le Plan « Emergence » constitue, ainsi, une sorte de plan de développement industriel axé sur les nouvelles opportunités de production et de commercialisation offertes par la mondialisation. Mais, peut-il réellement réaliser les objectifs ambitieux qu’il s’est fixés, tels que celui d’atteindre en dix ans le niveau de développement de la Malaisie, et en vingt ans celui de l’Espagne ? Peut-il surtout constituer des assises solides pour le développement de l’industrie marocaine de manière plus générale ?
La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) est précisément spécialisée dans l’analyse de telles questions. Dans son « Rapport sur le commerce et le développement , 2006 » publié en septembre 2006, elle analyse l’évolution de l’environnement économique international et fait des recommandations au sujet des mesures de politique économique susceptibles d’entraîner la croissance économique et la création d’emplois, en relevant le niveau de vie à long terme dans les pays en développement.
La CNUCED observe que, dans de nombreux pays du Tiers Monde, « les mesures de libéralisation de l’économie adoptées dans les années 80 et 90, à la demande des organisations financières internationales, ont accentué les inégalités, au lieu de les atténuer. Elle souligne que toute prescription relative au développement économique doit tenir compte de la situation propre de chaque pays : il n’y a pas de solution unique et universelle. »
La CNUCED recommande aux gouvernements de renforcer les entreprises locales et de veiller à ce que les règles du commerce international et les conditions imposées par les institutions financières internationales ne brident pas de manière excessive ces pays en les empêchant d’adopter la ligne de conduite la plus favorable à leurs intérêts. Elle leur recommande également de protéger les entreprises naissantes, « en recourant avec circonspection aux subventions et aux droits de douane, jusqu’à ce que les producteurs locaux puissent affronter la concurrence internationale en vendant des produits de plus en plus élaborés ».
« Des subventions temporaires soigneusement conçues peuvent favoriser des investissements novateurs, de même que des mesures temporaires de protection à l’encontre des importations peuvent susciter des processus d’apprentissage parmi les entreprises locales. »
Elle recommande l’« intégration commerciale stratégique », permettant aux entreprises locales de s’introduire prudemment et de façon ordonnée sur les marchés internationaux.
La CNUCED apporte, indirectement, un complément d’éclairage utile aux actions retenues dans le cadre du Plan « Emergence », lorsqu’elle souligne que la restructuration économique ne peut être confiée uniquement aux forces des marchés, et que les gouvernements doivent faire preuve de volontarisme pour stimuler la dynamique de ces marchés.
Première partie : articles d’Economia
Date transmission : vendredi 6 janvier 2006
Economia n° 1 – Février 2006
Chronique Entreprise
M. Jettou s’attaque au chômage
(version 7000 c – datée 6 Janvier 06)
Khalid Chraibi
En 50 ans, les gouvernements successifs se sont attaqués au problème du chômage en multipliant les mesures institutionnelles et les remèdes conjoncturels. Malgré cela, il y a aujourd’hui près d’un million et demi de chômeurs au Maroc, et près d’une personne sur cinq de la population active en milieu urbain est sans emploi.
Avec le temps, le chômage a changé de nature. Maintenant, il touche toutes les classes sociales, des plus démunis aux mieux éduqués. Les jeunes diplômés qui effectuent leurs études à l’étranger sont tentés d’y rester à la recherche d’un premier emploi, faute de débouchés visibles au Maroc.
L’« Initiatives Emploi » lancée par le Premier Ministre le 22 septembre dernier à Skhirat vise l’emploi de quelques 200 000 diplômés chômeurs en trois ans. Tout comme le Plan français de lutte contre le chômage élaboré par le gouvernement Villepin, il propose des mesures au niveau des entreprises et de l’auto-emploi. Mais celles-ci, bien qu’attrayantes à première vue, sont entourées de contraintes qui en réduisent sérieusement la portée.
Ainsi, le PM offre-t-il de bonnes incitations fiscales et sociales aux entreprises recrutant des diplômés chômeurs dans le cadre d’un « contrat de premier emploi » à durée déterminée de 24 mois. Mais, les entreprises peuvent être tentées de solder chaque contrat échu, remplaçant les anciennes recrues par de nouveaux jeunes diplômés, afin de continuer à bénéficier des avantages fiscaux et sociaux associés à l’opération.
L’obligation d’être inscrit pendant 12 mois à l’ANAPEC avant de pouvoir bénéficier des dispositions du « contrat de 1er emploi » réduit également le nombre de chômeurs auxquels ces dispositions profiteront dans l’immédiat. Enfin, on peut se demander où l’ANAPEC, déjà en difficulté, trouvera les fonds nécessaires pour rémunérer les cabinets de placement qui seront associés à l’opération.
Au niveau de l’auto-emploi, le PM encourage les diplômés chômeurs dotés de plus d’esprit d’initiative et de créativité à créer leur propre très petite entreprise (TPE). Avances en fonds propres (10% du projet d'investissement jusqu’à concurrence de 15 000 dhs), et prêts bancaires jusqu’à hauteur de 90% de l'investissement, plafonnés à 250 000 dhs/projet, avec garantie de l’Etat, rendent l’opération plausible.
Indéniablement, certains jeunes diplômés talentueux sauront profiter de l’aubaine. Mais l’opération se prêtera également à beaucoup d’abus, d’improvisation et d’accidents de parcours, transformant en dépenses « à fonds perdus » une partie du fonds global de 2 milliards dhs alloué à ces actions. Les contrôles rigoureux qui seront appliqués au lancement et à la gestion de chaque projet de TPE réduiront les dégâts, mais freineront aussi l’éclosion des TPE. Pourra-t-on vraiment atteindre l’objectif officiel de 30 000 TPE employant chacune 3 personnes (soit un total de 90 000 emplois) créées en 3 ans ?
En ce qui concerne la grande masse des chômeurs (plus des 4/5èmes de l’ensemble) , le Premier Ministre compte essentiellement sur les « grands chantiers » en cours de réalisation pour assurer la relance économique du pays au cours des trois prochaines années, aidant ce faisant à résorber une partie du chômage et à créer des emplois nouveaux (complexe portuaire et commercial de Tanger Méditerranée, mise en valeur de la vallée du Bouregreg, autoroutes, rocade méditerranéenne...).
La « politique des grands travaux » a souvent permis de relancer la croissance économique et l’emploi dans les pays développés qui traversaient une mauvaise passe conjoncturelle. La raison en est que le taux de valeur ajoutée dans la production nationale y est très élevé, et les effets d’entraînement très forts. Un coup de pouce peut fort bien faire redémarrer la machine économique grippée, grâce aux effets multiplicateurs qu’il engendre. Mais, le raisonnement ne s’applique guère (ou bien peu) à la situation d’un pays du Tiers Monde.
Par exemple, s’agissant des « grands chantiers » auxquels le Premier Ministre fait référence, ce sont des sociétés étrangères qui remportent l’essentiel des appels d’offres internationaux associés à leur réalisation. Les sociétés adjudicatrices importent de leur propre pays une proportion écrasante des produits, des services et de l’encadrement requis pour la réalisation du projet.
Les fortes retombées bénéfiques des grands chantiers ont donc bien lieu, mais… sur les économies des pays étrangers qui obtiennent les marchés ! De grandes entreprises s’y épanouissent, et génèrent chiffres d’affaires impressionnants, profits élevés et emplois nouveaux, aussi bien directs qu’induits…
Mais les retombées des grands chantiers sur l’économie marocaine sont bien modestes, en comparaison de cela, à cause du peu d’argent qui y est réellement dépensé dans le cadre de ces « grands chantiers », de la faiblesse du taux de valeur ajoutée dans la production nationale et de la dilution rapide des effets d’entraînement (ou effets multiplicateurs).
Ainsi, les emplois créés pendant la période de réalisation du projet peuvent être importants (surtout au niveau de la main d’œuvre temporaire), mais ils se situent à des niveaux marginaux en ce qui concerne les emplois durables. Quant au transfert de technologie et de know-how associés à ces grands projets, ils restent généralement bien en-deçà des niveaux escomptés.
Ajoutez à cela qu’une partie importante des fonds utilisés pour réaliser ces grands projets provient de sources de financement étrangères (multilatérales, bilatérales ou crédits commerciaux). Le service de la dette du projet (intérêts et échéances du principal) détourne encore une fois vers des opérateurs étrangers, chaque année, une partie importante des fonds dégagés par la mise en œuvre du projet, réduisant d’autant sa contribution à long terme au développement économique du pays.
Cela explique que l’on puisse être sceptique au sujet des résultats « escomptés » des mesures annoncées à Skhirat. On peut regretter, à cet égard, que le PM n’ait pas jugé utile de présenter une évaluation des résultats obtenus par les anciens programmes de lutte contre le chômage des diplômés chômeurs (soutien financier aux jeunes promoteurs dans les années 1980, actions de formation-insertion associées au CNJA dans les années 1990...). On se souvient que le premier a été comparé à un gouffre financier, dont les résultats n’ont guère été probants, alors que l’opération « formation-insertion », hautement médiatisée à l’époque, n’a contribué à employer que quelques 35 000 personnes en 10 ans, autant dire une goutte d’eau dans l’océan du chômage. La publication d’un rapport annuel sur la mise en œuvre du Plan de Skhirat sera, de ce point de vue, d’un intérêt certain.
Le chômage, assurément, n’est qu’une manifestation de l’état de santé précaire de l’économie marocaine en général, et de celui des entreprises en particulier. D’évidence, c’est à ces deux niveaux que les vrais problèmes se posent, et qu’ils doivent être étudiés et résolus. La « mise à niveau » de l’économie dans son ensemble, et de l’entreprise en particulier, constituent des passages obligés si l’on veut les doter de structures compétitives dans le cadre de la mondialisation des activités économiques. Ce n’est qu’à ces conditions que les opérateurs économiques, ayant retrouvé des assises plus solides, pourront procéder aux recrutements dont ils ont vraiment besoin, et dont le niveau sera d’autant plus important que les perspectives de développement seront meilleures.
Pour Economia N° 1
Transmis 24 janvier 2006
La « mise à niveau » des entreprises est mal partie
Par Khalid Chraibi
Depuis l’adhésion du Maroc à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1994, l’économie marocaine s’est résolument ouverte sur le monde extérieur. L’accord d’association avec l’Union Européenne signé en 1996 fut rapidement suivi d’un accord de libre-échange avec l’Association européenne de libre échange en 1997 ; puis d’accords similaires avec
Ces accords, dictés par la nécessité pour le Maroc de s’intégrer aux nouvelles donnes de l’économie mondiale, ouvrent de nouveaux débouchés aux produits marocains capables de se faire leur place sur les marchés étrangers. Ils constituent également pour l’entrepreneur marocain un formidable défi à relever, car il doit désormais faire face à la concurrence internationale sur le marché interne.
Opérant pendant des décennies sur un marché « captif » efficacement « protégé » par les barrières douanières, dans lequel il pouvait développer une « situation de rente », l’entrepreneur marocain a souvent été tenté par la solution de facilité de chercher à maximiser son profit, sans souci d’améliorer la qualité de ses produits ou d’en réduire les coûts de production.
Ni les opérateurs dominants ni les PME n’ont vu la nécessité de développer des structures compétitives ou des compétences techniques très fortes, que ce soit au niveau de leur organisation, de leur encadrement, ou de leur gestion des ressources financières, techniques ou humaines. Même ceux qui faisaient le plus illusion face à leurs concurrents nationaux pouvaient se révéler d’une grande vulnérabilité, une fois confrontés à une concurrence étrangère déterminée.
A l’ère de l’ouverture des frontières, il était donc impératif d’aider l’entreprise marocaine à s’adapter pour survivre dans cet environnement nouveau. Dès les lendemains de l’accord avec l’Union Européenne, un programme de « mise à niveau » de l’entreprise marocaine fut développé à cet effet.
Le concept de « mise à niveau » avait été développé à la fin des années 1980, pour aider le Portugal à s’intégrer à l’Europe. Le savoir-faire ainsi acquis fut étendu à l’occasion à d’autres pays se trouvant dans des situations similaires (Jordanie, Egypte, Syrie, Tunisie, Maroc, Sénégal…). Au Maroc, il devait développer la capacité de performance de l’économie marocaine dans son ensemble, afin qu’elle puisse résister à la concurrence des pays de l’Union Européenne et des pays du Sud de
Des actions devaient être menées dans des domaines aussi diversifiés que le renforcement des infrastructures ; l’amélioration de la formation professionnelle ; la promotion des exportations ; le renforcement des associations professionnelles ; le développement de l’infrastructure technologique ; la réalisation de diagnostics d’entreprises ; le financement de la mise à niveau…
Les entreprises marocaines devaient passer d’un style de gestion souvent « patriarcal » à des méthodes de gestion modernes. Des alliances entre entreprises dans les mêmes domaines d’activité devaient déboucher sur la constitution de « grappes industrielles », qui les porteraient à la taille requise pour améliorer leur productivité, réduire leurs coûts, mieux utiliser leur capital financier et leurs ressources humaines.
Une entité spécialisée dénommée « Euro-Maroc Entreprise » fut créée pour gérer toutes ces activités sur le terrain. Elle devait réaliser des activités de pré-diagnostics, organiser le financement et la réalisation de diagnostics approfondis et de plans d’affaires, mettre en relation les entreprises marocaines avec des partenaires étrangers…
A cause de la complexité des mesures institutionnelles requises et de l’éparpillement des efforts, le programme de mise à niveau eut beaucoup de mal à démarrer. Un bilan de l’opération dresse le tableau suivant, à l’issue de plusieurs années d’opération :
« Sur un total de 250 entreprises ayant déposé un dossier de demande à Euro-Maroc Entreprise depuis sa création, 150 ont été retenues et 100 pré-diagnostics ont été réalisés. Sur les 50 demandes déposées pour le passage à la deuxième phase, 20 ont pu être retenues jusqu’à présent. Un plan d’affaires a été réalisé pour une seule entreprise ».
Tirant la leçon de quelques cinq années de « démarrage » du programme, les différents partenaires procédèrent à sa refonte en 2002, l’axant entre autres mesures sur « l’amélioration de l’offre marocaine sur les marchés extérieurs par l’exploitation de gisements de productivité et de niches ; la diversification et l’intensification des exportations grâce à une politique de promotion de la qualité des produits ; l’adaptation de la formation professionnelle aux besoins de l’économie ; une amélioration du cadre institutionnel, des infrastructures et de l’organisation de l’administration… »
Dans ce but, le nouveau programme de mise à niveau s’est axé sur « le renforcement de la structure d’accueil et l’infrastructure technologique ; l’appui aux associations professionnelles ; le développement de la formation professionnelle ; et l’assistance technique aux entreprises. »
Une Agence nationale pour la promotion de
Qu’en est-il de la réalisation de ce programme révisé ? Il semble qu’il progresse mieux que son précecesseur, et que le nombre d’entreprises bénéficiaires des prestations du programme aient notablement augmenté. Cependant, compte tenu de la complexité du système, de l’ampleur des objectifs à atteindre et du retard accumulé (toutes ces « années perdues », pourrait-on dire), elles ne dépasseront guère quelques 5 % des entreprises industrielles de plus de 10 salariés recensées.
Contrairement à ce qui avait été escompté lors de son lancement, au lendemain de la conclusion de l’accord d’association avec l’Union Européenne, le programme de mise à niveau, dans toutes ses versions, n’aura donc d’impact que sur une fraction infime du tissu industriel marocain. Il ne jouera qu’un rôle marginal dans la préparation de l’économie marocaine à faire face à la concurrence internationale, à l’échéance de 2010. Pour résumer tous ces efforts, le titre d’une pièce de Shakespeare vient à l’esprit : « Beaucoup de bruit pour rien. »
Transmis 14 février 2006
Economia n° 2 Mars 2006
Culture 8000 c
1er muharram : Calendrier lunaire ou islamique ?
Khalid Chraibi
Depuis que l’usage du calendrier grégorien s’est généralisé dans les pays musulmans, après leur occupation par des puissances étrangères aux 19è et 20è siècles, le calendrier islamique s’est progressivement trouvé relégué à des fonctions de protocole et de représentation, qu’il assume essentiellement à l’occasion du 1er muharram, du 1er ramadan, de l’aïd el fitr ou de l’aid al adha. Nul ne songerait, de nos jours, à dater un contrat, à faire des réservations de billets d’avion ou de chambres d’hôtel, ou à programmer une conférence internationale sur la base des données de ce calendrier.
En effet, ses dates sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans et il ne permet pas, à l’intérieur du même pays, de planifier d’activités au-delà du mois en cours.
A titre d’illustration, le 1er shawal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr, correspondait au mercredi 2 novembre 2005 en Libye et au Nigéria ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays dont l’Algérie,
Faudrait-il conclure, à partir de cette illustration, que le calendrier lunaire doit être définitivement abandonné, dans les sociétés musulmanes, au profit du calendrier grégorien ? Nullement. En fait, comme nous le verrons, ce sont les procédures d’élaboration du calendrier islamique qui doivent être réévaluées.
Sur le plan astronomique, les données de la situation sont simples. Le mois lunaire débute au moment de la « conjonction » mensuelle, quand
Le calendrier islamique est basé sur de toutes autres conventions. Le Prophète a recommandé aux fidèles de commencer le jeûne du mois du ramadan avec l’observation de la naissance de la nouvelle lune [au soir du 29è j du mois] et d’arrêter le jeûne avec la naissance de la nouvelle lune (du mois de shawal). « Si le croissant n'est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu'à 30 j. ».
Les théologiens et les autorités temporelles en ont déduit, à tort ou à raison, que chacun des Etats islamiques devait (ou pouvait) procéder pour son propre compte à l’observation mensuelle de la nouvelle lune dans le ciel (ou à défaut attendre l’achèvement d’un 30è j) avant de décréter le début d’un nouveau mois sur son territoire, au lieu de faire démarrer le mois avec la conjonction mensuelle.
Or, le croissant lunaire ne devient vraiment visible que quelques 18 h après la conjonction, et sujet à l’existence de conditions favorables relatives à des facteurs tels que le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction ; les positions relatives du Soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ; l’altitude de la lune au coucher du soleil ; le lieu où l’on procède à l’observation ; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher ; les conditions d’observation (pollution, humidité, température de l’air, altitude) ; les conditions météorologiques (absorption et extinction des rayons lumineux en provenance de
Selon les mois et les saisons, les conditions favorables d’observation de la nouvelle lune seront réunies en des sites différents du globe terrestre. Des astronomes et des informaticiens réputés ont établi des procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien malais, Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l'ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant.
Mais tous ces efforts, si admirables soient-ils, restent marginaux par rapport à la question centrale : « qu’est-ce qui empêche l’adoption par les sociétés islamiques du calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique, puisqu’il répond parfaitement aux besoins de leur situation ? »
Il faut rappeler, dans ce contexte, que la dynastie des Fatimides en Egypte a utilisé ce calendrier au cours d’une période de deux siècles, entre les 10è et 12è s., avant qu’il ne tombe dans l’oubli à la suite d’un changement de régime.
Ce sont des arguments d’ordre théologique, fondés essentiellement sur deux ou trois hadiths du Prophète, qui sont le plus souvent cités pour préserver le statu quo et empêcher l’utilisation du calcul astronomique. Mais, ils laissent sceptiques.
En effet, le Coran n’interdit nulle part l’usage du calcul astronomique, qui est donc licite. Un verset déclare : "C'est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de
Le Prophète a simplement recommandé aux fidèles une procédure d’observation de la nouvelle lune qui était parfaitement courante à l’époque, et adaptée au contexte de la région, quand les étoiles servaient de points de repère aux Bédouins au cours de leurs déplacements dans le désert.
L’observation de la lune n’était qu’un moyen, pour déterminer le début du mois, et non pas une fin en soi, un acte d’adoration. Le hadith relatif à l’observation n’établissait pas une règle immuable, pas plus qu’il n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique.
A titre d’illustration, l’Arabie Saoudite a abandonné en 1999 la procédure d’observation de la nouvelle lune, pour lui substituer une nouvelle procédure basée sur le calcul des horaires de coucher du soleil et de la lune aux coordonnées de
De nombreux experts défendent la notion que le hadith ne parle pas d’une observation visuelle de la nouvelle lune, mais plutôt de l’acquisition de l’information, selon des sources crédibles, que le mois a débuté. Cela ouvre de toutes autres perspectives dans la discussion de cette question.
Quant au hadith du Prophète selon lequel les bédouins ne savent ni lire ni compter, et doivent donc éviter d’utiliser le calcul (astronomique), Ibn Taymiya observe que l’argument pouvait être fondé au début du 7è s. mais conteste qu’il puisse encore s’appliquer aux musulmans des siècles plus tard, après qu’ils aient été à l’avant-garde du développement de la connaissance scientifique, y compris en astronomie, pendant des siècles. Il souligne que les musulmans n’auraient pas de quoi s’enorgueillir s’ils étaient restés illettrés.
Plus généralement, on peut observer que les juristes musulmans s’enorgueillissent de la capacité de la loi islamique à s’adapter en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances aux besoins des sociétés les plus diverses. Nombre de points fondamentaux de la loi ont fait l’objet d’interprétations différentes, au fil des siècles. Pourquoi serait-il donc impossible de substituer une autre interprétation au hadith du Prophète sur la question de l’utilisation par la communauté musulmane du calendrier basé sur le calcul astronomique ?
Transmis 23 février 2006
Economia n° 2 Mars 2006
Chronique Entreprise
Intérêt public et intérêts privés (version révisée 23/02/06)
Khalid Chraibi
Le rapport « 50 ans de développement humain », présente une remarquable rétrospective des politiques appliquées et des résultats obtenus dans les principaux secteurs économiques et sociaux depuis la proclamation de l’indépendance. Ceux qui s’intéressent au secteur privé marocain trouveront matière à réflexion dans l’excellente contribution du professeur Mohamed Saïd Saâdi, retraçant l’évolution du secteur privé au cours du demi-siècle écoulé et évaluant sa modeste contribution à la croissance économique et au développement humain du pays.
De la lecture de ces rétrospectives, on retient que la panoplie de mesures édictées dans le but d’améliorer le niveau de vie économique et social de la population en général au cours de ce demi-siècle n’ont eu qu’une portée réduite par rapport aux objectifs visés, mais ont fourni à ceux qui ont su profiter de leurs dispositions l’opportunité d’édifier des fortunes privées importantes. Le secteur industriel en fournit une illustration intéressante.
Les pouvoirs publics se sont évertués à mettre en place, depuis l’indépendance, des institutions appropriées, à même de favoriser la croissance industrielle et le développement humain, et à faire émerger une classe d’entrepreneurs et de gestionnaires compétents, innovateurs et dynamiques, capables de faire tourner les rouages de la machine économique.
La politique économique se fixa des objectifs raisonnables et viables, tels que le développement des exportations agricoles et du tourisme, la substitution de productions nationales aux produits importés et l’association de capitaux nationaux et étrangers dans les principaux domaines d’activité économique.
Dans ce but, une politique de promotion du secteur privé fut mise en œuvre, basée sur un impressionnant, mais tout à fait logique, système d’incitations.
Des codes d’investissement furent adoptés, accordant des avantages sous forme de primes d’équipement, de bonification des taux d’intérêt, de couverture du risque de change, de garantie de transfert des capitaux des investisseurs étrangers…
Des mesures de protection douanière (taxation et contrôle des importations…) furent édictées pour favoriser le développement de productions nationales de biens de consommation courante, en substitution aux importations. Afin d’encourager les industries orientées vers les exportations, des régimes économiques spéciaux en douane furent mis en place, permettant l’importation en suspension de droits de douane des matières premières destinées à être utilisées dans la production de produits destinés à l’exportation.
Pour financer leurs investissements, les entrepreneurs purent bénéficier de crédits importants, octroyés à des conditions avantageuses (faible taux d’intérêt, durée de remboursement étendue) par des institutions spécialisées nouvellement créées ou remises à niveau telles que
D’autres institutions spécialisées, telles que l’Office de Développement Industriel (ODI) ou l’Office de Commercialisation et d’Exportation (OCE) furent mis en place, pour aider les opérateurs économiques à développer leurs activités sur des bases bien étudiées.
Afin de maintenir la compétitivité des produits marocains sur le plan international, qui était associée dans l’esprit des décideurs économiques à un faible coût de main d’œuvre, une politique de bas salaires fut appliquée, y compris le blocage du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) sur des durées prolongées.
La décision de « marocanisation » des activités économiques vint à point nommé ajouter la dernière pierre à l’édifice en 1973, en obligeant les propriétaires étrangers opérant dans de nombreux secteurs à prendre des associés marocains.
Or, à l’heure où l’on dresse le bilan du cinquantenaire, on constate que toutes les mesures indiquées, pourtant parfaitement justifiées et adaptées aux besoins de la situation de l’époque, n’ont eu qu’un effet marginal sur le développement du secteur privé industriel. La contribution de ce secteur à la valeur ajoutée nationale est restée modeste, les produits continuant d’être parfois de qualité moyenne ou médiocre et les prix beaucoup plus élevés que ceux des produits étrangers comparables. Les exportations ont continué d’être faibles et les importations plus nécessaires que jamais, alors que le taux de chômage de la population urbaine continuait de grimper.
Pourquoi le secteur industriel n’a-t-il pas fait preuve du dynamisme, de l’esprit d’innovation, des grandes réalisations escomptés, après que l’Etat lui ait fourni tous les moyens pour prendre son essor et apporter une contribution importante au développement économique et humain du pays ?
Les principales sociétés industrielles ont été vendues par leurs propriétaires étrangers, depuis l’indépendance, à des opérateurs marocains qui n’avaient ni la vocation d’entrepreneurs industriels, ni l’expérience ou le profil requis, ayant fait fortune dans des activités liées au commerce, à l’immobilier et à la propriété agricole. Ces opérateurs avaient simplement su tirer parti des avantages de la politique économique appliquée par l’Etat, usant de leur accès privilégié à l’appareil administratif, de leurs liens avec le pouvoir politique, ou encore des relations qu’ils entretenaient avec les banquiers de la place et avec les opérateurs économiques étrangers.
Les nouveaux propriétaires se sont empressés de développer des situations de rente, sur des segments de marché captifs, tout en usant habilement de l’effet de levier pour prendre progressivement le contrôle d’autres entreprises.
La concentration de pouvoir économique qui en a résulté s’est parfois traduite par l’édification de véritables conglomérats ayant des pôles diversifiés (financier, industriel, commercial), dont les dirigeants étaient des membres d’une même famille, principalement intéressés par le brassage des affaires en vue d’un gain rapide. En conséquence, ils n’accordaient qu’un intérêt de second ordre à d’autres préoccupations telles que la gestion des ressources techniques, financières ou humaines d’une entreprise déterminée, qu’ils étaient prêts à revendre à un bon prix quand l’occasion se présenterait. Le développement de nouveaux produits, l’amélioration de la qualité de production ou l’exploration de marchés étrangers ne faisaient pas partie de leurs préoccupations prioritaires, tant que les affaires « rapportaient gros » par ailleurs.
Bien sûr, toutes généralisations sont excessives. Le tissu industriel a également vu la multiplication de milliers de PME tout au long de cette période, à l’initiative, cette fois, de véritables entrepreneurs fortement motivés, prêts à innover, à prendre des risques, à sortir des sentiers battus pour développer des activités pointues et pour se faire une place dans un créneau qu’ils étaient parfois les seuls à avoir identifié. On connaît tous des « success stories » marocaines, des « self made man » à l’américaine, mais ces entreprises restent pour l’essentiel vulnérables et fragiles, des affaires de famille au vrai sens du terme, et leur contribution à l’activité du secteur industriel reste mineure.
Transmis le 20 mars 2006
Economia n° 3 avril 2006
Chronique Entreprise :
La politique des « champions nationaux »
Khalid Chraibi
Une course soutenue à la concentration se déroule au Maroc depuis de nombreuses années. Elle restructure le paysage industriel, commercial et financier du pays dans des secteurs aussi variés que celui des holdings (rapprochement SNI/ONA) ; des banques (fusion BCM/Wafabank ; regroupement CDG/BNDE/CIH ; absorption de SMDC par BP) ; des assurances (fusion RMA/Wataniya ; et auparavant, fusions en cascade d’Al Amane - L’Entente –
Certains de ces regroupements s’inscrivent dans le cadre de la politique de « privatisation » des participations détenues par l’Etat, des introductions en Bourse, ou de l’évolution normale des affaires. D’autres, tels que les fusions BCM/Wafabank ou RMA/Wataniya, se justifient, selon leurs promoteurs, par la nécessité économique de créer des « champions nationaux » capables de servir de véritables locomotives de développement dans leur secteur d’activité, et de faire face à la concurrence étrangère, lorsqu’elle se manifestera en force à partir de l’échéance 2010, à l’occasion de l’ouverture totale des frontières aux opérateurs et produits étrangers.
L’argument se défend, quand on songe que de nombreuses entreprises internationales ayant des chiffres d’affaires se comptant en dizaines de milliards de dollars (banques, compagnies aériennes, laboratoires pharmaceutiques, industries diverses…) cherchent elles-mêmes, aujourd’hui, à fusionner avec certains de leurs concurrents, pour mieux se positionner sur la scène mondiale.
Nos grandes entreprises nationales ne sont que des PME, quand elles sont mesurées à l’aune des standards européens ou américains. La consolidation de petites entreprises, en vue de créer de nouveaux ensembles desservant des parts de marché de 15 à 20 % chacun, permettrait de les doter de meilleurs atouts pour survivre, face aux menaces de la mondialisation. Leur « mise à niveau » de manière organisée, en vue d’optimiser l’utilisation de leurs ressources matérielles, humaines, techniques, financières et managériales et de leur know-how individuel, devrait logiquement se traduire par un gain pour leurs actionnaires aussi bien que pour le consommateur, tout en assurant leur pérennité.
Ceci dit, l’atteinte de la taille critique ne doit pas être parée de toutes les vertus. Elle ne constitue nullement un remède-miracle. Un nombre restreint d’opérateurs marocains ont prédominé dans différents secteurs économiques au cours du dernier quart de siècle, sans que cela se traduise nécessairement par une prestation de service de haut niveau de leur part. Ils se sont parfois contentés de rendre des prestations de qualité moyenne, tout en développant, quand ils le pouvaient, des situations de rente dans un marché captif, en engrangeant des bénéfices qui les satisfaisaient.
Ce n’est donc pas uniquement au niveau de la taille qu’il faut rechercher les faiblesses des entreprises, mais également à celui des compétences managériales de leurs dirigeants et du savoir-faire qu’ils peuvent mobiliser dans leur gestion. Leur capacité à se mettre à l’écoute du client, leur volonté de le servir, au lieu de l’exploiter, sont des indicateurs primordiaux. Les restructurations opérées à l’occasion des fusions doivent ainsi se préoccuper autant des questions de qualité du management que de qualité de production.
En tout état de cause, il ne s’agit pas, sous prétexte de consolider les assises des « champions nationaux», de mettre les destinées d’un secteur d’activités entre les mains d’un nombre restreint d’opérateurs (un « cartel » dans la terminologie économique), si distingués soient-ils, ni de leur sacrifier le maintien d’une saine concurrence sur le marché, entre entreprises de taille comparable. Comme l’expérience marocaine vécue le prouve, ce n’est qu’à ce prix que les entreprises resteront en éveil, à l’écoute des besoins du consommateur, constamment à la recherche d’innovations et de produits nouveaux, d’améliorations de qualité ou de réductions de coûts de revient, pour fidéliser leur clientèle et améliorer leur taux de pénétration du marché.
L’analyse prend une toute autre dimension lorsque le regroupement concerne deux entreprises de taille moyenne, dont chacune dessert déjà une part importante du marché national, aboutissant à créer une « entreprise dominante » capable de desservir 60-70 % environ de ce marché,
Au niveau de la politique économique nationale, le devenir du secteur devient étroitement dépendant des décisions d’une entreprise dominante. Selon les priorités qu’elle se fixe dans son plan d’opérations, les investissements auxquels elle procède, la politique d’approvisionnements qu’elle applique, les partenariats qu’elle noue avec des opérateurs nationaux et étrangers, les emprunts qu’elle contracte, etc., elle devient un centre de décision économique principal du pays.
Elle se trouve alors confrontée à un arbitrage continu, et parfois difficile, entre ses propres intérêts, en tant qu’opérateur privé, et les intérêts du secteur tout entier. Peut-elle, par exemple, maintenir une situation de saine « concurrence » avec la multiplicité de PME dont chacune dessert des parts de marché de 5 ou 10 %, sans succomber à la tentation de les « brider » dans leurs activités pour servir ses propres intérêts ?
Or, la politique des « champions nationaux » ne doit pas se faire au détriment des PME. Comme l’histoire des grandes réussites industrielles et commerciales le démontre abondamment, il n’est pas nécessaire d’être riche pour entreprendre : il suffit de bonnes idées et d’une ferme volonté d’entreprendre et de réussir dans les affaires, comme en témoignent nombre d’entreprises venues au monde dans un garage avant de partir à la conquête du monde (Ford, Hewlett Packard, Motorola, Microsoft…).
Toutes les précautions doivent donc être prises pour assurer la pérennité des PME, qui sont les chevilles ouvrières du développement d’une économie performante et de création d’emplois, en même temps qu’elles favorisent l’apparition d’une classe moyenne significative, tous trois facteurs importants de stabilité sociale du pays.
Pour toutes ces raisons, les pays industrialisés (Etats-Unis, Union Européenne…) ont mis en place des législations très sophistiquées, non seulement pour empêcher le développement de monopoles ou de cartels, mais également pour empêcher les entreprises géantes d’abuser de leur position dominante sur un marché, et pour veiller au maintien d’une saine concurrence entre tous les opérateurs économiques de manière plus générale. Au Maroc également, il serait de la plus haute importance d’accompagner la mise en œuvre d’une politique des « champions nationaux » de règles similaires, adaptées au contexte de notre pays, pour assurer le respect des règles de bonne gouvernance dans la sphère économique.
Transmis le 30/03/06
Economia n° 3 Avril 2006
Entreprise du mois
Le Groupe COSUMAR, locomotive de la filière sucrière
Opportunités, menaces et défis
Khalid Chraibi
Le Groupe Cosumar est devenu l’opérateur incontournable dans le secteur du sucre au Maroc, depuis sa reprise des 4 sucreries nationales privatisées par l’Etat en été 2005. Il doit maintenant jouer le rôle de locomotive de toute la filière sucrière, que ce soit au niveau du développement de l’amont agricole qui fait vivre 80 000 familles ; de la restructuration et de la mise à niveau des 14 usines qui produisent près de la moitié du sucre consommé au Maroc ; ou des énormes défis que le secteur doit relever dans le cadre de la politique de libéralisation.
Volet n° 1 : Le Groupe Cosumar aujourd’hui
Peu de Marocains savent aujourd’hui que le pain de sucre fut produit au Maroc dès le 12ème siècle, à partir de la canne à sucre cultivée dans les régions de Souss et de Chichaoua. Pendant tout le Moyen Age, le sucre resta une denrée rare et précieuse que l’on ne consommait que dans les demeures des gens les plus aisés. Son commerce engendrait de grandes richesses, comme le rappellent les guides des tombeaux saâdiens de Marrakech, qui expliquent que le roi Ahmed El Mansour Ed-Dahbi troquait le sucre « poids pour poids, contre les matériaux les plus riches : or, onyx, marbre d’Italie » quand il édifiait le Palais EI Badi.
Ce n’est cependant qu’à partir de 1929 que le pain de sucre apparaît de manière permanente sur la scène marocaine, lorsque la société sucrière Saint Louis, de Marseille, s’implanta à Casablanca sous le sigle de COSUMA, pour produire, à partir de sucre brut importé, le fameux pain de sucre «
La société connut un développement exceptionnel au cours de sa longue existence, passant d’une production de sucre raffiné de 100 t/j à ses débuts à un niveau de 2 100 t/j aujourd’hui, dans son usine de Casablanca. En 1967, la société fut « marocanisée », cédant une part de 50 % de son capital à l’Etat, et son sigle connut une légère extension pour devenir COSUMAR.
Dans les années 1970, elle accompagna la politique nationale de développement des cultures sucrières en créant deux sucreries dans le périmètre agricole de Doukkala-Abda, l’une à Sidi Bennour et l’autre à Khemis Zemamra. Ces deux unités enregistrèrent une forte croissance de leurs activités, avant d’être fusionnées avec Cosumar en 1993.
La société entra dans le giron de l’ONA en 1985, consolidant ses assises dans l’économie marocaine en s’adossant au groupe économique numéro un du pays. Ses principaux actionnaires aujourd’hui comprennent l’ONA (56 %),
COSUMAR a constamment œuvré pour l’amélioration de sa compétitivité, la modernisation de son outil industriel, la formation de son personnel et l’application d’une démarche « qualité » et « sécurité » rigoureuses dans ses activités.
En 2004, elle célébra ses 75 ans d’existence, et pouvait s’enorgueillir d’être en excellente forme. Elle était toujours le numéro 1 du secteur sucrier. Ses ventes s’élevaient à
La société avait des assises financières solides, ses fonds propres avoisinant 1.5 milliards dh, son chiffre d’affaires 3.2 milliards dh, et son résultat net 250 mdh. Elle employait près de 1 900 personnes.
Sa raffinerie était implantée à Casablanca, et ses usines de transformation de betterave sucrière à Sidi Bennour et Zemamra, avec une capacité de traitement de 14 000 tb/j.
Les 4/5è de sa production de sucre raffiné étaient réalisés à partir de sucre brut importé, et 1/5è était obtenu à partir du sucre brut ayant son origine dans l’amont agricole marocain.
Malgré cette réussite exceptionnelle, Cosumar continue de se préoccuper constamment de la compétitivité de ses produits, ce qui se traduit par un souci permanent de développer son outil industriel et de l’adapter aux nouvelles donnes de situations changeantes. Ainsi, compte tenu de l’essor considérable que connaît l’activité betteravière dans la région Abda-Doukkala, Cosumar a lancé début 2004 un grand projet d’extension des sucreries de Sidi Bennour, pour un investissement de 800 mdh.
Dans une première phase correspondant à la campagne 2004-2005, la capacité devait passer de 6000 à 10 000 tb/j, et dans une deuxième phase, en 2006, elle devait être portée à 15 000 tb/j, avec notamment le transfert et l’installation des équipements de la sucrerie de Zemamra à la sucrerie de Sidi Bennour. Le traitement de la betterave serait ainsi concentré sur Sidi Bennour alors que l’activité de conditionnement des produits finis serait maintenue sur les deux sites, ce qui devrait optimiser l’exploitation au niveau des deux sites. Le projet a été concrétisé dans de très bonnes conditions.
Cosumar a également lancé en 2004 un projet de construction de plate-forme de stockage de
De même, Cosumar a participé à l’opération de privatisation des 4 sucreries SUTA, SURAC, SUNABEL et SUCRAFOR, dont elle a acquis en été 2005 les participations détenues par l’Etat pour un montant de 1367 mdh. Elle se retrouve ainsi l’unique opérateur sucrier au Maroc, désormais, avec les capacités de traitement suivantes installées dans chaque région :
Casablanca , pour le raffinage du sucre brut importé (production de 2100 t/j de pain de sucre raffiné) et le conditionnement des produits finis.
Région des Doukkala (Sidi Bennour et Zemamra), avec une capacité de transformation de 14 000TB/J.
Région du Tadla (Suta), avec une capacité de transformation de 14 400 tonnes betterave/Jour.
Région du Gharb-Loukkos (Sunabel), avec une capacité de transformation 15 000 tonnes betterave/Jour.
Région du Gharb-Loukkos (Surac), avec une capacité de transformation de 9 500 tonnes canne/Jour.
Région de Moulouya (Sucrafor), avec une capacité de transformation de 3 000 tonnes betterave/Jour.
Il faut noter que les cultures sucrières, s’étendant sur une superficie de
A ce stade, Cosumar projette d’investir 1.6 milliard dh dans la restructuration et le développement de la filière sucrière sur les six prochaines années. Elle espère élargir les superficies cultivées de 25 % et augmenter le revenu des agriculteurs de 40 % sur la prochaine décennie. Elle compte aussi poursuivre la mise à niveau de la filière sucrière en favorisant les synergies entre les différents sites de production et l’amont agricole.
Rappelons que la privatisation des 4 sucreries s’est réalisée sans que le processus de libéralisation initié en 1996 ait progressé. La libéralisation des prix à la consommation des matières premières et des produits finis n’est toujours pas appliquée.
Volet n° 2 : Groupe Cosumar : Opportunités, menaces et défis
Rencontre avec M. Mohammed Fikrat, PDG de Cosumar
Khalid Chraibi
Malgré un calendrier extrêmement chargé, coincidant avec la présentation des résultats de Cosumar pour l’année
A la question : « Y a-t-il une situation de monopole de fait ? », Mr Fikrat observe que, bien que Cosumar soit devenue l’unique opérateur au niveau du secteur sucrier, il serait abusif d’assimiler cela à une situation classique de monopole. Ce sont clairement les Pouvoirs Publics qui définissent la ligne de conduite de la filière sucrière et qui fixent, actuellement, les règles du jeu à tous les niveaux névralgiques. L’administration détermine le prix payé aux producteurs de betterave et de canne à sucre au niveau de l’amont agricole, le système de tarification douanière et les taux appliqués aux importations, le forfait payé par
Le rôle de Cosumar se réduit, en quelque sorte, dans le système actuel, à une activité de façonnage pour répondre aux besoins du marché, dans le cadre défini par l’Etat. De son côté, Cosumar a des engagements à tenir vis-à-vis des agriculteurs, afin de sécuriser leurs revenus, et de préserver la pérennité de l’amont agricole sucrier. Elle doit accompagner l’amont agricole, et y généraliser les bonnes pratiques, pour améliorer la productivité des surfaces affectées aux cultures sucrières.
La filière de production du sucre, secteur intégré, est organisée autour de règles qui définissent les rôles de tous les intervenants, et des dispositions pour les faire respecter. Cette organisation, si elle est bien animée, fera sans doute que tous les intervenants contribueront de la manière requise au développement compétitif de la filière sucrière, dans une stratégie gagnant-gagnant.
Il faut souligner à cet égard que la filière sucrière est régulée et organisée par l’Etat dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement. D’une part, elle est souvent fortement intégrée dans l’amont agricole, induisant ainsi une création et distribution de richesse importante. D’autre part, chaque Etat producteur veut s’assurer de son bon développement, pour ne pas exposer son marché domestique aux fluctuations de volumes et de prix sur les marchés internationaux très volatiles.
Loi sur la concurrence :
Ceux qui se réfèrent aux dispositions de la loi sur la concurrence peuvent être rassurés : non seulement c’est l’Etat qui a bien mené le processus de la privatisation qui a mis Cosumar en situation d’opérateur unique, mais les juristes de Cosumar se sont assurés, au cours de la concrétisation de cette privatisation, que tous les aspects juridiques de l’opération étaient conformes aux exigences des lois applicables.
Concentration de pouvoir au niveau d’un opérateur marocain unique :
Il y avait un prétendant français et un prétendant espagnol à la reprise des 4 sucreries. Aucun marocain ne peut regretter que ce soit l’opérateur marocain numéro 1 du secteur qui ait fait la meilleure offre sur les plans technique et financier, et qui ait remporté le résultat. Les décideurs économiques ont opté pour l’offre de Cosumar parce qu’ils connaissent sa compétence dans ce domaine, parce que son offre est crédible, et n’a rien à envier aux opérateurs étrangers.
Si on pense maintenant à la taille des unités de production elles-mêmes, il faut réaliser que nos grandes unités ne sont que des PME quand elles sont comparées aux unités européennes ou américaines.
Intégration des sucreries nationales dans le Groupe Cosumar :
La société est consciente de la nécessité d’un projet concerté d’intégration et de développement de l’industrie sucrière, englobant l’ensemble des 14 unités de raffinage et de transformation. A cet effet, elle a élaboré un projet ambitieux, dénommé « Intégration, Développement Industriel, Mise A niveau GlobalE » , soit « INDIMAGE 2012 », qui vise à améliorer sa compétitivité et à assurer une meilleure satisfaction de ses clients.
Ce projet s’articule autour de cinq axes majeurs :
- L’accompagnement de l’amont agricole sucrier dans la définition et la réalisation d’un plan de développement et d’amélioration des performances,
- La construction d’un solide partenariat gagnant-gagnant et pérenne avec tous les acteurs du secteur,
- La mise à niveau et le développement de l’outil industriel pour l’amener aux standards internationaux,
- L’amélioration de l’organisation et des processus métiers et de gestion,
- Le partage des mêmes valeurs d’entreprise en vigueur dans le Groupe favorisant la culture de la performance.
Afin de réussir ce grand défi, le Groupe Cosumar, a d’ores et déjà identifié différentes synergies, immédiatement mobilisables, à travers la mise en œuvre de 18 chantiers d’intégration et de développement qui couvrent les principaux champs d’action.
Investissements et financement :
Pour financer les investissements requis, le Groupe compte utiliser un emprunt bancaire d’un montant de 700 mdh, et mobiliser en accompagnement les flux de trésorerie interne des sociétés.
Flambée du prix du sucre sur le marché international :
De nombreux facteurs ont été à l’origine d’une hausse considérable du prix du sucre depuis novembre dernier. On peut en citer trois :
- une forte spéculation sur ce produit de la part des fonds de pension américains ;
- une baisse du volume de sucre brésilien offert sur le marché international. En effet, la hausse du prix du pétrole a poussé les Brésiliens à se reporter sur l’utilisation de l’éthanol, fabriqué à base de canne à sucre, comme carburant des véhicules, en substitution à l’essence devenu trop cher. Comme le Brésil est le premier producteur mondial de sucre, l’effet de ce transfert est important, parce que les trois-quarts des véhicules brésiliens vendus roulent indifféremment à l’éthanol ou à l’essence.
- les nouvelles orientations de l’Union européenne en matière sucrière ont également eu leur effet sur le volume de sucre faisant l’objet du commerce international. Critiquée par de nombreux pays producteurs de sucre, qui l’accusent de subventionner ses producteurs, l’Union Européenne se retire actuellement du marché international du sucre, dans lequel elle traitait jusqu’à 5 mt.
Il faut savoir que 30 % seulement du sucre produit dans le monde fait l’objet de négoce international, dont une grande partie est échangée dans le cadre d’accords bilatéraux. Donc, moins du cinquième de la production mondiale se retrouve vraiment sur le marché international, d’où les fluctuations importantes qu’on peut y observer.
Les autorités marocaines ont suspendu l’application de la tarification douanière, pour conserver le niveau du prix cible actuellement en vigueur, soit un maximum de 4 700 dh/t, quel que soit le cours du marché international. Etant donné que le Maroc dépend des importations de sucre brut pour assurer plus de la moitié de la production nationale de sucre raffiné, c’est un problème important que les autorités étudient actuellement, en vue de lui apporter la solution appropriée.
Accord de libre échange avec les Emirats Arabes Unis :
L’accord de libre échange spécifie clairement que les produits bénéficiant de ses dispositions doivent avoir une valeur ajoutée de 40 % réalisée dans le pays d’origine. Les professionnels du sucre savent que le sucre importé des EAU ne peut pas prétendre à ce taux de valeur ajoutée, pour des raisons techniques, et ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de l’ALE.
Les relations avec l’ONA :
Elles sont, bien sûr, excellentes. En sa qualité de filiale du Groupe ONA, la gestion de Cosumar s’inscrit dans le cadre des orientations stratégiques de ses actionnaires. Mais, chaque filiale a ses propres organes de prise de décision et de management. Le Conseil d’administration de chaque filiale contrôle et oriente le fonctionnement et le développement de la société concernée.
Volet n° 3 : La filière sucrière marocaine
Khalid Chraibi
Dans les premières années suivant l’indépendance du Maroc, les Pouvoirs Publics ont appliqué une stratégie de développement économique axée, entre autres priorités, sur le développement de productions nationales en substitution aux importations, dans les secteurs où cela était faisable.
A l’époque, la consommation nationale de sucre était légèrement inférieure à 400 000 t. Les trois usines de raffinage existantes (dont Cosuma, filiale de la société sucrière Saint-Louis de Marseille, représentait plus de 80 % de la capacité installée) importaient du sucre brut qui était traité sur place, pour satisfaire près de 90 % des besoins des consommateurs, le solde étant importé sous forme de sucre blanc raffiné.
Les experts gouvernementaux estimèrent qu’il était possible de développer la production de sucre au Maroc, à partir de la culture de betterave sucrière et de canne à sucre, en substitution aux importations. Le projet se justifiait aux trois niveaux agronomique, économique et social. Il permettait de promouvoir de nouvelles cultures capables de servir de pôles de développement pour les activités agricoles au niveau des régions choisies, de réaliser des économies de devises considérables, et de sécuriser l’approvisionnement du marché en visant à atteindre progressivement l’autosuffisance alimentaire pour une denrée de première nécessité.
La première sucrerie nationale entra en activité à Sidi Slimane en 1963, pour traiter la production betteravière lancée dans le périmètre irrigué du Gharb sur une surface de
Une réglementation étatique rigoureuse fut appliquée à toute la filière sucrière. Les Offices de Mise en Valeur Agricole (ORMVA) assuraient la gestion de l’amont agricole (organisation des campagnes sucrières, approvisionnement en facteurs de production, financement, encadrement des agriculteurs…). Ils jouaient également le rôle d’intermédiaire entre les producteurs de matières premières (betterave et canne) et les sucreries. L’Office National du Thé et du Sucre (ONTS) importait le sucre brut livré aux sucreries pour leurs activités de raffinage.
L’Etat fixait les prix payés par les usines aux producteurs de la betterave et de la canne à sucre, le prix du sucre brut fourni aux raffineries, et celui du produit fini vendu au consommateur. Les Pouvoirs Publics décidèrent de maintenir ce dernier prix inchangé à un bas niveau, quel que soit le prix de revient du sucre produit localement dans les usines de transformation et les raffineries, parce que le sucre était considéré comme une denrée de première nécessité.
A cet effet, l’Etat décida d’appliquer au secteur un système de subvention géré par
Cette politique ambitieuse de développement de la filière sucrière se poursuivit pendant des années. Il en résulta une grande extension des périmètres irrigués affectés à ces cultures nouvelles. L’application d’une politique favorable des prix pour soutenir la production de betterave et de canne à sucre se traduisit par un développement continu de la production. Le taux d’autosuffisance passa de 4 % en 1960 à 28 % en 1970, dépassant 60 % dans les années 1980.
Comme il a été indiqué, Cosumar, l’opérateur privé dominant de la filière, dont l’Etat avait racheté la moitié du capital en 1967, procéda à l’implantation d’une sucrerie à Sidi Bennour, et d’une autre à Khemis Zemamra dans les Doukkala, dans les années 1970.
Au cours des années 1980, l’application par les Pouvoirs Publics marocains du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) recommandé par les organisations financières internationales se traduisit par un désengagement progressif du secteur public de toutes sortes d’activités au niveau du secteur sucrier. Puis, en 1996, d’autres mesures visant la dérégulation du secteur furent adoptées, dans le cadre de la nouvelle politique de libéralisation.
Ainsi, le système de compensation fut modifié pour assurer aux usines une subvention forfaitaire de 2000 dh par tonne vendue, dans le but de les inciter à mieux gérer leurs coûts de production, qui avaient connu une dérive sérieuse. L’augmentation régulière de la consommation de sucre, conjuguée à de fortes hausses du prix d’achat sur le marché international, déboucha sur une forte croissance du montant total de la compensation au sucre, qui passa de 50 mdh en 1985 à 800 mdh en 1996 et à 2 milliards dh en 2002.
Un nouveau système de tarification douanière fut également mis en place, s’appliquant aux importations de sucre, visant à maintenir le prix de revient du sucre importé autour des niveaux observés pour les produits locaux.
En 1997, en préparation de la libéralisation du secteur, l’Etat procéda au regroupement des entreprises publiques du secteur sucrier en quatre sociétés : Sunabel, Surac, Suta et Sucrafor.
Leur transfert au secteur privé fut à l’examen pendant de nombreuses années, sans que se présente un repreneur sérieux, à cause des difficultés financières importantes de ces sociétés et du manque de visibilité du secteur sucrier, dans l’attente des dispositions spécifiques de la politique de libéralisation qui devait lui être appliquée.
Ce n’est qu’en septembre 2005 que cette privatisation put être concrétisée, lorsque Cosumar, un opérateur national chevronné, détenteur d’une expertise de 75 ans au niveau de la production industrielle et de plus d’un quart de siècle au niveau de l’amont agricole, procéda à l’acquisition des quatre sucreries pour un montant de 1367 mdh, donnant naissance à un opérateur unique au niveau de la production de sucre au Maroc : le Groupe Cosumar.
Volet n° 4 : Le sucre dans le monde
Khalid Chraibi
Le sucre est un glucide présent à l’état naturel dans tous les fruits et légumes. Produit par photosynthèse, le processus naturel qui transforme la lumière du soleil en énergie vitale, il est présent en grande quantité dans la canne à sucre et dans la betterave à sucre, toutes deux utilisées pour la production commerciale de sucre.
La canne à sucre, une herbe géante qui croît en climat chaud et humide et emmagasine le sucre dans sa tige, aurait d’abord poussé à l’état naturel dans les îles du Pacifique Sud il y a 4000 ans. On la retrouve en Inde, où la technique d’extraction et de transformation du jus de canne en « sarkara » (origine sanskrit du mot « sucre ») aurait été développée vers 500 av. J.C. Les Perses, puis les Grecs rapportent chez eux ce « roseau qui produit du miel, sans le concours des abeilles ». Le savoir-faire se propage vers
La betterave, en tant que substitut de la canne, ne sera connue que vers le milieu du 18ème siècle, quand le chimiste berlinois Andreas Sigismund Marggraf prouve que le sucre de betterave et celui de canne sont identiques. S’acclimatant mieux en climat tempéré et emmagasinant le sucre dans sa racine blanche, elle connaîtra son essor en France grâce aux mesures d’encouragement édictées par Napoléon pour encourager la production de sucre de betterave à l’époque du « blocus continental ». En 1900, près de la moitié de la production mondiale est à base de sucre de betterave, mais la proportion n’est plus que d’un tiers à la fin du 20è s.
Le sucre est utilisé soit de manière directe, en tant que « sucre de bouche », présenté en morceaux ou en poudre (20 % des ventes en France) ; ou de manière indirecte, quand il est incorporé par différentes industries alimentaires, chimiques et pharmaceutiques dans leurs produits (80 %). Les sucres que l'on trouve dans les aliments contenant des glucides se transforment tous en glucose dont le corps se sert comme énergie.
En l’an 2000, 31 millions d’ha étaient affectés aux cultures sucrières dans 111 pays (38 pays cultivant la betterave, 65 la canne, 8 les deux) ; 2440 sucreries étaient en activité (790 de betterave, 1560 de canne) ; le chiffre d’affaires atteignait 65 milliards $ H.T., réparti entre 80 pays exportateurs et 150 pays importateurs ; l’activité générait 2 millions d’emplois.
En 2004-2005, la production mondiale de sucre blanc s’élevait à
Les plus grands producteurs de sucre de betterave incluent : l’Allemagne (
Les principaux pays exportateurs sont : le Brésil (
Les principales multinationales opérant dans le secteur incluent des géants tels que : Tate & Lyle en Grande Bretagne ; ou en France : Groupe Tereos (11 sucreries), Saint Louis Sucre (5 sucreries), Groupe Cristal Union (4 sucreries), Groupe Vermandoise (4 sucreries).
Encadré indépendant sur
ETHANOL
La production d’alcool éthylique d’origine agricole (éthanol) se fait par fermentation du sucre contenu dans les jus extraits de betterave ou de canne, dans les sirops issus de la cristallisation ou dans la mélasse. L’alcool obtenu de la betterave a plusieurs destinations : alcool de bouche et d’industrie, carburant, parfumerie ou encore pharmacie.
Il prend le nom de bioéthanol lorsqu’il est utilisé comme carburant. Soit il est incorporé directement à l’essence à hauteur de 10 % à 25 %, soit il est utilisé pur dans certains moteurs. Il s’agit du biocarburant le plus utilisé dans le monde à l'heure actuelle. En Europe, on utilise l’ETBE (Ethyltertiobutyléther), un mélange contenant pour moitié du bioéthanol et un dérivé pétrolier. L’ETBE est incorporé à l’essence super sans plomb jusqu’à 15 %.
A la fin de l’année 2005, le gouvernement français s’est engagé à promouvoir une incorporation directe de bioéthanol dans les essences à hauteur de 5,75 % en 2008 et 7 % en 2010. Ces mesures participent ainsi au programme écologique de réduction des émissions de gaz à effet de serre (accords de Kyoto) ainsi qu’à la réduction de notre dépendance énergétique.
Marché français de l’éthanol : en 2005, les surfaces de « betterave alcool » s’élèvent à
Marché mondial de l’éthanol : en 2005, les 5 premiers pays producteurs d’éthanol sont le Brésil, les Etats-Unis, l’Inde, l’Union Européenne et