Khalid Chraibi
Economia
Mars 2007
Chronique Entreprise
Au Maroc, les managers ont souvent tendance à considérer les effectifs d’une entreprise comme de simples « postes de travail » à gérer de très près, afin de s’assurer que chacun remplit correctement la fonction qui lui est dévolue. Ainsi, l’aide-comptable peut-il exercer pendant des années les activités pour lesquelles il a été recruté, sans que l’entreprise n’attende rien de plus, de lui. Grâce à l’expérience acquise sur le tas, il peut espérer gravir, au fil des ans, quelques échelons avant d’atteindre, selon l’expression de Peter, le « seuil de son incompétence ».
Mais, est-ce vraiment ainsi qu’on tire le meilleur parti des hommes, dans la société moderne ?
Dans les pays du Tiers Monde, les chefs d’entreprise risquent de répondre par l’affirmative à cette question, sans hésitation. De leur point de vue, l’entreprise comporte un vaste réseau de fonctions spécifiques qui doivent être assurées de manière fiable, et les hommes sont recrutés pour répondre à ces besoins.
Mais, dans les pays industrialisés, cette vision des choses est périmée depuis plus d’un demi-siècle. Jack Welch, PDG de General Electric (GE) et l’un des maîtres à penser de la gestion moderne, en fournit une bonne illustration.
Welch est un praticien chevronné de la gestion, ayant occupé les fonctions de PDG de General Electric (GE) pendant deux décennies. Il en a fait l’une des entreprises les plus dynamiques sur le plan mondial, employant près de 340 000 personnes dans 100 pays, opérant dans des domaines diversifiés (ampoules électriques, générateurs électriques, appareils d’imagerie médicale, moteurs d’avion, plastiques, services financiers…). Le chiffre d’affaires de la société est passé de 27 milliards $ en 1980 à 130 milliards $ en 2000. La capitalisation boursière est passée de 14 milliards $ à plus de 400 milliards $. La société est aussi l’une des entreprises les plus admirées du monde. Elle occupe en 2006, pour la sixième fois, la place « numéro 1 » dans les classements préparés séparément par la revue américaine « Fortune » et le « Financial Times » de Londres.
Welch attribue la croissance spectaculaire de son entreprise, au cours de ses deux décennies de présidence, à la conjonction de deux facteurs : le choix des hommes et la libre circulation des idées. D’après lui, l’entreprise doit constamment placer l’accent sur les valeurs d’abord, avant les chiffres. Pour réussir dans ses activités, elle doit attirer les meilleurs talents et leur donner toutes les occasions de s’épanouir, transformant ceux qui en ont le potentiel en véritables leaders. GE consacre à cet effet un temps énorme et des sommes considérables à la formation et à la gestion de carrière de son personnel, bien au-delà de tout ce qui se fait habituellement dans l’industrie américaine.
D’après Welch, les responsables de l’entreprise, à tous les niveaux, doivent avoir une vision claire de comment « mieux faire » les choses qui doivent être faites. Ils doivent stimuler, motiver et inspirer les gens autour d’eux, au lieu de les énerver, de les déprimer et de les contrôler. Les membres du personnel doivent avoir l’autonomie nécessaire pour prendre leurs propres décisions, et ne pas être traités en simples agents d’exécution de décisions prises aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie. Les procédures doivent être simplifiées, l’atmosphère informelle et détendue, afin que les personnes concernées puissent remettre en cause les décisions des patrons, à chaque fois qu’elles le jugent utile.
Les managers et l’ensemble du personnel doivent travailler comme des membres d’une seule équipe, et être récompensés sur la base des résultats du travail de groupe.
L’entreprise doit être constamment en train d’améliorer la qualité de ses produits, pour qu’ils soient incontournables pour les clients. A cet effet, elle doit innover en permanence, afin de rester dans la course face à ses concurrents. Elle doit sans arrêt développer sa capacité à se renouveler, à se donner des défis et à les remporter.
Les responsables doivent être à l’affût d’idées nouvelles, d’où qu’elles viennent, et apprendre à les utiliser à l’avantage de la société. Ils doivent assurer un bon suivi de tout ce qui se décide, tout en luttant contre les comportements bureaucratiques qui produisent des blocages. Le changement doit être perçu à tous les niveaux de l’entreprise comme une chance à saisir, pour améliorer la situation de la société, même quand il dérange les habitudes et les intérêts établis.
Le personnel de GE est constamment mobilisé pour atteindre les objectifs de la société, ne serait-ce que pour éviter de faire partie des 10 % des effectifs dont GE se sépare chaque année, parce qu’ils sont les plus mal classés, lors des évaluations annuelles. En les remplaçant par des personnes répondant mieux à ses besoins, la société s’assure de rester à un niveau élevé de compétitivité.
Welch n’est pas un guru visionnaire, qui développe ses théories de gestion dans une « tour d’ivoire », mais un véritable praticien de l’art de la gestion d’entreprise. Ayant présidé pendant vingt ans aux destinées de l’une des plus grandes entreprises du monde, avec le succès que l’on connaît, il mérite certainement qu’on étudie ses idées avec la plus grande attention.