lundi, février 19, 2007

Plan « Emergence » et développement industriel

Khalid Chraibi

Economia
Février 2007
Chronique Entreprise

Avec l’ouverture progressive des frontières aux produits étrangers au cours des dernières années, le marché marocain a été inondé de produits d’importation qui ont connu une grande faveur auprès du public, au détriment des produits locaux. Des entreprises de plus en plus nombreuses connaissent de ce fait des difficultés certaines, parce qu’elles n’ont pas su mettre en œuvre des stratégies industrielles et commerciales efficaces pour protéger leurs parts de marché contre cette concurrence étrangère. L’échec de la politique de mise à niveau n’a fait qu’exacerber la vulnérabilité de telles entreprises.

Nonobstant cela, les industriels marocains sont invités à se tourner vers les marchés étrangers, pour y développer des débouchés pour leurs produits, afin de consolider leurs positions et de s’intégrer aux nouvelles donnes de la mondialisation du commerce. Mais, le peuvent-ils réellement ? Dans un monde industriel en mutation, à quel avenir l’industrie marocaine peut-elle raisonnablement aspirer ?

Les pouvoirs publics et les opérateurs industriels se sont évidemment sentis interpelés par ces questions au cours des dernières années, ce qui les a conduits à l’élaboration du plan « Emergence ». Ce dernier se propose de mettre en valeur les facteurs compétitifs d’industries marocaines choisies, pour mieux les positionner sur le plan international. Il s’articule, on s’en souvient, autour de quatre grands axes d’intervention :

Encouragement de la filière « offshore » de services et processus administratifs (tels que les « call-centers », la comptabilité, la gestion administrative, etc.) ;
Création de zones de sous-traitance industrielle centrées sur les activités d’exportation dans les domaines de l’automobile, de l’électronique, de l’aéronautique, etc. ;

La modernisation des secteurs agro-alimentaire (en particulier les fruits et légumes et les industries des corps gras) ; industries de transformation des produits de la mer ; textile ; et artisanat orienté export ; et

L’amélioration de l’environnement des affaires par la mise en œuvre de mesures appropriées d’ordre administratif, fiscal, etc., afin de donner aux opérateurs économiques les incitations et les appuis dont ils ont besoin pour développer leurs activités.

Le Plan « Emergence » constitue, ainsi, une sorte de plan de développement industriel axé sur les nouvelles opportunités de production et de commercialisation offertes par la mondialisation. Mais, peut-il réellement réaliser les objectifs ambitieux qu’il s’est fixés, tels que celui d’atteindre en dix ans le niveau de développement de la Malaisie, et en vingt ans celui de l’Espagne ? Peut-il surtout constituer des assises solides pour le développement de l’industrie marocaine de manière plus générale ?

La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) est précisément spécialisée dans l’analyse de telles questions. Dans son « Rapport sur le commerce et le développement , 2006 » publié en septembre 2006, elle analyse l’évolution de l’environnement économique international et fait des recommandations au sujet des mesures de politique économique susceptibles d’entraîner la croissance économique et la création d’emplois, en relevant le niveau de vie à long terme dans les pays en développement.

La CNUCED observe que, dans de nombreux pays du Tiers Monde, « les mesures de libéralisation de l’économie adoptées dans les années 80 et 90, à la demande des organisations financières internationales, ont accentué les inégalités, au lieu de les atténuer. Elle souligne que toute prescription relative au développement économique doit tenir compte de la situation propre de chaque pays : il n’y a pas de solution unique et universelle. »

La CNUCED recommande aux gouvernements de renforcer les entreprises locales et de veiller à ce que les règles du commerce international et les conditions imposées par les institutions financières internationales ne brident pas de manière excessive ces pays en les empêchant d’adopter la ligne de conduite la plus favorable à leurs intérêts. Elle leur recommande également de protéger les entreprises naissantes, « en recourant avec circonspection aux subventions et aux droits de douane, jusqu’à ce que les producteurs locaux puissent affronter la concurrence internationale en vendant des produits de plus en plus élaborés ».

« Des subventions temporaires soigneusement conçues peuvent favoriser des investissements novateurs, de même que des mesures temporaires de protection à l’encontre des importations peuvent susciter des processus d’apprentissage parmi les entreprises locales. »

Elle recommande l’« intégration commerciale stratégique », permettant aux entreprises locales de s’introduire prudemment et de façon ordonnée sur les marchés internationaux.

La CNUCED apporte, indirectement, un complément d’éclairage utile aux actions retenues dans le cadre du Plan « Emergence », lorsqu’elle souligne que la restructuration économique ne peut être confiée uniquement aux forces des marchés, et que les gouvernements doivent faire preuve de volontarisme pour stimuler la dynamique de ces marchés.