vendredi, février 23, 2007

M. Jettou s’attaque au chômage

Khalid Chraibi

Economia
Février 2006
Chronique Entreprise

En 50 ans, les gouvernements successifs se sont attaqués au problème du chômage en multipliant les mesures institutionnelles et les remèdes conjoncturels. Malgré cela, il y a aujourd’hui près d’un million et demi de chômeurs au Maroc, et près d’une personne sur cinq de la population active en milieu urbain est sans emploi.

Avec le temps, le chômage a changé de nature. Maintenant, il touche toutes les classes sociales, des plus démunis aux mieux éduqués. Les jeunes diplômés qui effectuent leurs études à l’étranger sont tentés d’y rester à la recherche d’un premier emploi, faute de débouchés visibles au Maroc.

L’« Initiatives Emploi » lancée par le Premier Ministre le 22 septembre dernier à Skhirat vise l’emploi de quelques 200 000 diplômés chômeurs en trois ans. Tout comme le Plan français de lutte contre le chômage élaboré par le gouvernement Villepin, il propose des mesures au niveau des entreprises et de l’auto-emploi. Mais celles-ci, bien qu’attrayantes à première vue, sont entourées de contraintes qui en réduisent sérieusement la portée.

Ainsi, le PM offre-t-il de bonnes incitations fiscales et sociales aux entreprises recrutant des diplômés chômeurs dans le cadre d’un « contrat de premier emploi » à durée déterminée de 24 mois. Mais, les entreprises peuvent être tentées de solder chaque contrat échu, remplaçant les anciennes recrues par de nouveaux jeunes diplômés, afin de continuer à bénéficier des avantages fiscaux et sociaux associés à l’opération.

L’obligation d’être inscrit pendant 12 mois à l’ANAPEC avant de pouvoir bénéficier des dispositions du « contrat de 1er emploi » réduit également le nombre de chômeurs auxquels ces dispositions profiteront dans l’immédiat. Enfin, on peut se demander où l’ANAPEC, déjà en difficulté, trouvera les fonds nécessaires pour rémunérer les cabinets de placement qui seront associés à l’opération.

Au niveau de l’auto-emploi, le PM encourage les diplômés chômeurs dotés de plus d’esprit d’initiative et de créativité à créer leur propre très petite entreprise (TPE). Avances en fonds propres (10% du projet d'investissement jusqu’à concurrence de 15 000 dhs), et prêts bancaires jusqu’à hauteur de 90% de l'investissement, plafonnés à 250 000 dhs/projet, avec garantie de l’Etat, rendent l’opération plausible.

Indéniablement, certains jeunes diplômés talentueux sauront profiter de l’aubaine. Mais l’opération se prêtera également à beaucoup d’abus, d’improvisation et d’accidents de parcours, transformant en dépenses « à fonds perdus » une partie du fonds global de 2 milliards dhs alloué à ces actions. Les contrôles rigoureux qui seront appliqués au lancement et à la gestion de chaque projet de TPE réduiront les dégâts, mais freineront aussi l’éclosion des TPE. Pourra-t-on vraiment atteindre l’objectif officiel de 30 000 TPE employant chacune 3 personnes (soit un total de 90 000 emplois) créées en 3 ans ?

En ce qui concerne la grande masse des chômeurs (plus des 4/5èmes de l’ensemble) , le Premier Ministre compte essentiellement sur les « grands chantiers » en cours de réalisation pour assurer la relance économique du pays au cours des trois prochaines années, aidant ce faisant à résorber une partie du chômage et à créer des emplois nouveaux (complexe portuaire et commercial de Tanger Méditerranée, mise en valeur de la vallée du Bouregreg, autoroutes, rocade méditerranéenne...).

La « politique des grands travaux » a souvent permis de relancer la croissance économique et l’emploi dans les pays développés qui traversaient une mauvaise passe conjoncturelle. La raison en est que le taux de valeur ajoutée dans la production nationale y est très élevé, et les effets d’entraînement très forts. Un coup de pouce peut fort bien faire redémarrer la machine économique grippée, grâce aux effets multiplicateurs qu’il engendre. Mais, le raisonnement ne s’applique guère (ou bien peu) à la situation d’un pays du Tiers Monde.

Par exemple, s’agissant des « grands chantiers » auxquels le Premier Ministre fait référence, ce sont des sociétés étrangères qui remportent l’essentiel des appels d’offres internationaux associés à leur réalisation. Les sociétés adjudicatrices importent de leur propre pays une proportion écrasante des produits, des services et de l’encadrement requis pour la réalisation du projet.

Les fortes retombées bénéfiques des grands chantiers ont donc bien lieu, mais… sur les économies des pays étrangers qui obtiennent les marchés ! De grandes entreprises s’y épanouissent, et génèrent chiffres d’affaires impressionnants, profits élevés et emplois nouveaux, aussi bien directs qu’induits…

Mais les retombées des grands chantiers sur l’économie marocaine sont bien modestes, en comparaison de cela, à cause du peu d’argent qui y est réellement dépensé dans le cadre de ces « grands chantiers », de la faiblesse du taux de valeur ajoutée dans la production nationale et de la dilution rapide des effets d’entraînement (ou effets multiplicateurs).

Ainsi, les emplois créés pendant la période de réalisation du projet peuvent être importants (surtout au niveau de la main d’œuvre temporaire), mais ils se situent à des niveaux marginaux en ce qui concerne les emplois durables. Quant au transfert de technologie et de know-how associés à ces grands projets, ils restent généralement bien en-deçà des niveaux escomptés.

Ajoutez à cela qu’une partie importante des fonds utilisés pour réaliser ces grands projets provient de sources de financement étrangères (multilatérales, bilatérales ou crédits commerciaux). Le service de la dette du projet (intérêts et échéances du principal) détourne encore une fois vers des opérateurs étrangers, chaque année, une partie importante des fonds dégagés par la mise en œuvre du projet, réduisant d’autant sa contribution à long terme au développement économique du pays.

Cela explique que l’on puisse être sceptique au sujet des résultats « escomptés » des mesures annoncées à Skhirat. On peut regretter, à cet égard, que le PM n’ait pas jugé utile de présenter une évaluation des résultats obtenus par les anciens programmes de lutte contre le chômage des diplômés chômeurs (soutien financier aux jeunes promoteurs dans les années 1980, actions de formation-insertion associées au CNJA dans les années 1990...). On se souvient que le premier a été comparé à un gouffre financier, dont les résultats n’ont guère été probants, alors que l’opération « formation-insertion », hautement médiatisée à l’époque, n’a contribué à employer que quelques 35 000 personnes en 10 ans, autant dire une goutte d’eau dans l’océan du chômage. La publication d’un rapport annuel sur la mise en œuvre du Plan de Skhirat sera, de ce point de vue, d’un intérêt certain.

Le chômage, assurément, n’est qu’une manifestation de l’état de santé précaire de l’économie marocaine en général, et de celui des entreprises en particulier. D’évidence, c’est à ces deux niveaux que les vrais problèmes se posent, et qu’ils doivent être étudiés et résolus. La « mise à niveau » de l’économie dans son ensemble, et de l’entreprise en particulier, constituent des passages obligés si l’on veut les doter de structures compétitives dans le cadre de la mondialisation des activités économiques. Ce n’est qu’à ces conditions que les opérateurs économiques, ayant retrouvé des assises plus solides, pourront procéder aux recrutements dont ils ont vraiment besoin, et dont le niveau sera d’autant plus important que les perspectives de développement seront meilleures.